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Dirigeants Augmentés : Besoin de la Chine pour nous sauver de la Chine + Faut-il armer ses concurrents ?
Bonjour à tous,
Bienvenue dans Dirigeants Augmentés. Une fois par semaine, je partage mes réflexions sur la stratégie, la tech et la géopolitique. Sans formalité, sans publicité – juste un professionnel partageant son expérience avec des dirigeants de PME/ETI.
Le quotidien d'un dirigeant est une succession de pièges.
Des pièges intellectuels, où la logique évidente mène à la stagnation. Des pièges stratégiques, où la solution la plus rassurante est souvent la plus dangereuse.
Cette semaine, nous allons en disséquer deux.
Le premier est un piège géopolitique dans lequel la France et l'Europe sont en train de tomber à pieds joints, au nom d'un principe que tout le monde applaudit.
Le second est un piège de leadership. Celui qui attend tout visionnaire qui a réussi seul, et qui menace de transformer son plus grand succès en sa plus grande faiblesse.
Deux cas d'école. Deux impasses apparentes.
Deux leçons de stratégie.
Le premier se cache derrière un mot que tout le monde adore : la souveraineté.

Industrie verte : pourquoi nous avons besoin de la Chine pour nous sauver de la Chine
1. La grande illusion de la souveraineté
On vous parle de "souveraineté industrielle". De "transition énergétique souveraine".
Le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, martèle qu'il est hors de question de "remplacer la dépendance aux énergies fossiles par une dépendance aux composants industriels".
Une belle devise. Un récit puissant.
Le seul problème ? C'est un fantasme.
Pendant que les discours politiques bercent l'opinion, la réalité du terrain, elle, est brutale. Prenez HoloSolis, ce projet de gigafactory de panneaux solaires en Moselle. Un investissement de 850 millions d'euros, 1 800 emplois à la clé. Un symbole de notre reconquête.
La réalité ? Pour sécuriser les brevets et le savoir-faire, HoloSolis s'apprête à faire entrer un actionnaire chinois à son capital.
Son président l'admet sans détour : "Nous devons les laisser entrer au capital pour accéder à leur propriété intellectuelle".
La messe est dite.
2. La dure leçon : nous sommes les élèves
Ce n'est pas un cas isolé. C'est un pattern.
ACC, la coentreprise de Stellantis, Mercedes-Benz et TotalEnergies dans les batteries, a dû faire face à la même évidence. Après des difficultés à monter en cadence dans son usine du Pas-de-Calais, la direction a reconnu avoir noué un partenariat avec un grand producteur chinois.
Un porte-parole d'ACC l'a résumé avec une franchise qui force le respect : en matière de fabrication, "les Européens sont les élèves et les acteurs asiatiques, les professeurs".
Cette phrase devrait être affichée dans tous les ministères.
Il y a trente ans, nous installions des joint-ventures en Chine pour leur transférer nos technologies. Aujourd'hui, le rapport de force s'est inversé. Nous avons besoin d'eux pour simplement savoir comment produire.
Les chiffres sont sans appel. 96% des galettes de silicium, le cœur d'un panneau solaire, proviennent de Chine. Ce pays maîtrise plus de 50% des capacités d'électrolyseurs pour l'hydrogène dans le monde. Ils ont appris, copié, puis dépassé. Ils ont développé leurs propres machines-outils, là où ils utilisaient les nôtres.
Le jeu a changé. Ils ne sont plus l'atelier du monde. Ils sont les ingénieurs. Les maîtres d'œuvre.
3. Le vrai dilemme pour vous, dirigeant de PME
Pendant que ces méga-projets subventionnés se débattent avec cette réalité, quelle est la vôtre ?
Votre défi est encore plus complexe. Vous n'avez ni les subventions des gigafactories, ni le capital pour vous offrir un partenariat technique avec un géant chinois.
Vous êtes en première ligne face à une concurrence déloyale.
Le mot est lâché : "dumping". Les surcapacités de production chinoises inondent le marché de modules à des prix inférieurs à leur coût de production.
Alors, on fait quoi ?
La question n'est pas de savoir s'il faut "croire" à la souveraineté.
La question est de regarder la réalité en face. Votre dépendance n'est pas une honte. C'est un fait stratégique. Votre fournisseur clé est aussi, potentiellement, le concurrent mortel de votre client, ou le vôtre demain.
Votre chaîne de valeur est globale. Vouloir la rendre 100% locale ou européenne est une illusion dangereuse et coûteuse.
Le véritable enjeu n'est pas l'indépendance. C'est la lucidité.
Il s'agit de cartographier précisément vos dépendances critiques. D'évaluer la robustesse de vos fournisseurs. De diversifier quand c'est possible. Et surtout, de construire votre avantage concurrentiel là où la Chine ne peut pas (encore) vous attaquer : la vitesse, l'agilité, le service sur-mesure, la relation client, l'intégration de systèmes complexes.
Le combat n'est pas perdu. Mais il faut le mener sur le bon terrain. Avec les bonnes armes.
Celle de la lucidité, pas celle des incantations politiques.
La conclusion du premier cas est amère : pour survivre, il faut parfois accepter une forme de dépendance. Il faut être lucide sur ses propres faiblesses pour pouvoir continuer à se battre.
C'est une leçon d'humilité stratégique.
Mais la dépendance la plus dangereuse n'est pas toujours celle que l'on croit. Elle n'est pas toujours géopolitique ou technologique.
Parfois, elle est interne.
Elle se niche au cœur de votre propre succès. Quand une filière entière, un écosystème, ne repose plus que sur la vision d'un seul homme. Le prédateur qui a gagné seul devient alors, sans le savoir, le "single point of failure" de toute la meute.
Sa force devient la vulnérabilité de tous.
Et si le plus grand risque pour votre "pays", ce n'était pas la Chine, mais vous ?

Transformer sa filière : l'art de passer de prédateur à berger
Vous êtes seul.
Vous avez une vision pour votre secteur, une conviction forgée sur le terrain. Vous voyez le virage que les autres refusent de prendre. Vous avez peut-être déjà commencé à transformer votre propre entreprise, en appliquant des méthodes qui semblent hérétiques à vos pairs.
Et ça marche.
Mais ce succès vous isole. Vous êtes devenu le prédateur qui chasse hors de la meute. Le problème ? Votre croissance future ne dépend plus seulement de votre propre performance, mais de la capacité de tout votre écosystème à monter en gamme.
Comment faire gagner un "pays" qui refuse d'adopter vos règles du jeu ?
Ce n'est pas une question théorique. C'est le défi de Jean-Claude Mas, fondateur des Domaines Paul Mas. En 25 ans, il a transformé un vignoble familial en un leader des vins du Languedoc-Roussillon, avec une approche "Nouveau Monde" radicale pour sa région : partir de la demande du client, et non de la production.
Un prédateur. Un vrai.
Aujourd'hui, il déplore le manque de "faire-savoir" collectif de sa filière. Son challenge n'est plus de chasser seul. Il doit devenir le berger.
Cette situation est un miroir pour tout dirigeant de PME industrielle. Analysons deux leviers possibles. Non pas des solutions miracles, mais des constructions hypothétiques pour nourrir votre propre stratégie.
1. Devenir l'architecte de la puissance collective
Jean-Claude Mas a bâti une machine de guerre à l'export, commercialisant 90% de ses vins dans 89 pays. Une force que ses concurrents régionaux n'ont pas.
L'orthodoxie voudrait qu'il garde cet avantage pour lui. Pour écraser les autres.
Mais le berger pense différemment.
Et si, au lieu de simplement optimiser sa propre machine, il en faisait une plateforme ? Un "Hub Export du Languedoc", ouvert à d'autres vignerons sélectionnés. Un système où son expertise, son réseau et sa logistique deviendraient un service mutualisé.
Ce n'est pas de l'altruisme. C'est de la stratégie pure.
En devenant l'orchestrateur de la puissance exportatrice de sa région, il change de dimension. Il ne vend plus seulement du vin. Il vend un accès au monde. Les revenus deviennent pluriels : commissions, frais de service, mais surtout, une valeur de marque régionale qui rejaillit sur ses propres produits.
La question pour vous est la suivante : quelle est votre superpuissance ? Cette compétence unique que vous avez mis des années à construire – R&D, logistique, accès à un marché de niche ?
Et si, au lieu de la protéger, vous l'ouvriez ? Si vous la transformiez en une plateforme de services pour des entreprises partenaires, voire des concurrents non-frontaux ?
En mutualisant votre force, vous ne la diluez pas. Vous la monétisez différemment et vous créez des dépendances stratégiques qui renforcent votre position centrale. Vous devenez indispensable.
Le succès de Mas repose sur une méthode : le "vin plaisir", l'approche "customer-centric". Une hérésie dans un monde de traditions. Son défi est que la meute refuse cette nouvelle façon de chasser.
L'instinct du prédateur est de garder ses secrets.
Celui du berger est de former ses ouailles.
Imaginons une "Académie du Vin de Plaisir". Une plateforme "open source" où Jean-Claude Mas partagerait les grands principes de sa méthodologie. Pas ses recettes exactes, mais la philosophie, les études de cas, les données de marché, les frameworks marketing qui ont fait son succès.
Gratuitement.
La valeur n'est pas dans l'information partagée, mais dans la position que ce partage confère. En devenant le "professeur" de sa filière, il ne perd pas son avance : il devient la référence. La norme.
Les vignerons qui appliquent ses méthodes améliorent la qualité et la pertinence de l'offre globale du Languedoc. L'image de toute la région monte en gamme, ce qui bénéficie mécaniquement au leader.
Quelle est votre méthode ? Ce savoir-faire unique qui fait la différence dans votre PME ?
Le garder pour vous protège votre présent. Le partager méthodiquement construit votre futur. En éduquant votre marché et même vos concurrents, vous ne créez pas des rivaux, vous façonnez un écosystème qui pense comme vous. Et dans un monde qui pense comme vous, vous gagnez toujours.
Le passage de prédateur à berger est le mouvement stratégique le plus difficile. Il demande de sacrifier l'ego de la réussite solitaire au profit d'une vision d'influence collective.
Mais c'est le seul chemin pour que votre vision ne reste pas une exception, mais devienne un héritage.
Dépendance subie, dépendance choisie
Être lucide, c'est voir le piège. Le piège de la dépendance à un rival qui est aussi un partenaire obligé. Le piège de la solitude, quand votre vision devient le plafond de verre de tout votre écosystème.
Ces deux histoires nous rappellent qu'un dirigeant ne se bat pas contre des problèmes, il navigue entre des paradoxes.
Le but n'est pas de les résoudre, mais de les maîtriser. De transformer une contrainte subie en un levier stratégique. De faire d'une faiblesse collective une force orchestrée.
Ce sentiment de devoir trancher seul, dans le brouillard, avec des options imparfaites... C'est l'essence même du job.
C'est justement ce que nous devrions disséquer la semaine prochaine. Comment prendre des décisions à forts enjeux quand les données sont incomplètes et que chaque option comporte une part de risque ? Existe-t-il un framework pour penser juste sous la pression ?
La réponse est oui.
Osez partager cette analyse avec un pair qui se croit encore seul au sommet. Il vous en sera reconnaissant.
Eric