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Dirigeants Augmentés – Hexis & Tecofi : transformer la contrainte en avantage compétitif

Bonjour à tous,

En cette période de fêtes, j'ai choisi de condenser l'essentiel. Vous avez probablement l'esprit ailleurs, et c'est une excellente chose.

Mais le fait que vous ayez ouvert ce mail prouve une chose : vous profitez du calme ambiant pour lire ce qui fonctionne ailleurs, à tête reposée.

Dans cette édition, nous analysons deux industriels, Hexis et Tecofi, qui refusent la facilité. Ils investissent pour ne plus subir. L'un utilise l'exigence écologique pour renforcer sa position, l'autre la lourdeur industrielle pour conquérir les USA.

Si cette analyse éclaire vos réflexions de fin d'année, ne la gardez pas pour vous. Transférez-la à un dirigeant qui prépare 2026.

Commençons par ceux qui font de la norme un actif stratégique.

Hexis : Transformer la contrainte écologique en barrière à l'entrée

ETI familiale (120 M€ de CA) basée dans l'Hérault, Hexis est un challenger européen de référence dans le film adhésif. Mais son cœur de métier, le PVC, fait face à une pression sociétale et réglementaire croissante.

Face à la domination des acteurs américains (3M, Avery) et un recul de l'export, son directeur général Clément Mateu opère un pivot majeur : transformer un industriel du plastique en champion de l'économie circulaire.

L'illusion de la stabilité dans un monde qui change

On peut penser qu'une position de leader sur une niche technique protège des tempêtes. Erreur de perspective. Clément Mateu vit exactement l'inverse.

Malgré une réussite incontestable et une distribution dans plus de 50 pays (via 12 filiales en propre et des distributiers tiers), il fait face à une équation que beaucoup de dirigeants refusent de voir : son produit phare, le film PVC, est techniquement performant mais symboliquement radioactif.

Dans un environnement où l'incertitude est la seule certitude, attendre que l'orage passe n'est plus une option. L'inertie, ce confort trompeur qui pousse à optimiser l'existant plutôt qu'à préparer la rupture, est devenue le principal risque.

Pour Hexis, le défi n'est pas de vendre plus de plastique, mais de réinventer son modèle avant qu'il ne devienne obsolète. Alors que l'export est freiné par les tensions géopolitiques depuis deux ans, le maintien du statu quo équivaudrait à une obsolescence programmée. Mateu ne cherche pas à se donner bonne conscience. Il cherche à assurer son avenir face à des géants américains qui misent sur la force de frappe industrielle plutôt que sur l'agilité.

Le pari de la complexité contre la banalisation

L'analyse du cas Hexis révèle une approche instructive pour tout dirigeant de PME industrielle. Hexis produit 25 millions de mètres carrés de films par an. C'est une machine industrielle de volume. Mais au lieu de simplement augmenter la cadence, Clément Mateu choisit d'investir 5 millions d'euros pour adapter son appareil productif aux nouveaux standards.

Le pivot vers l'économie circulaire et le recyclage des liners (le papier protecteur des adhésifs) et des flasques (les embouts des bobines) n'est pas une opération de communication. C'est une tentative de monter en gamme par le service et la complexité. Avec 3% du CA alloués à la R&D, l'entreprise cherche à s'extraire de la guerre des prix par la valeur ajoutée.

Face à 3M ou Avery, Hexis ne peut pas gagner la guerre des coûts ou des volumes standards. L'impératif est de redéfinir les standards industriels. En essayant d'éduquer une filière où la mise au rebut reste la solution de facilité, Mateu tente de créer une barrière à l'entrée basée sur l'excellence logistique et environnementale..

Cette approche construit une barrière à l'entrée technologique : rendre son offre incopiable autant par l'écosystème de services que par le produit lui-même.

Transformer la contrainte réglementaire en actif stratégique

La première leçon : Hexis renverse la contrainte. La pression environnementale sur le plastique est immense. Plutôt que de la subir en attendant les taxes ou les interdictions, Hexis tente de l'internaliser pour en faire un avantage concurrentiel.

C'est le principe du judo économique : utiliser la force de l'adversaire (ici, la régulation et l'opinion publique) pour déséquilibrer le marché. Si Hexis parvient à imposer un standard de recyclage dans l'industrie du covering (l'habillage) et de la signalétique, ils rendent de facto les produits concurrents non-circulaires obsolètes, ou du moins "coûteux" en termes d'image pour le client final.

Pour un dirigeant, la question n'est plus "combien ça me coûte de me mettre aux normes ?", mais "comment cette norme peut-elle devenir l'avantage qui déclasse mes concurrents les plus lents ?".

L'innovation comme antidote à la dépendance géopolitique

La seconde leçon concerne la résilience. Hexis subit de plein fouet les tensions mondiales qui impactent ses filiales et son export. La réponse classique aurait été la réduction des coûts ou le repli sur soi. Mateu choisit l'offensive par l'innovation.

C'est faire preuve de réalisme économique : on ne contrôle pas la géopolitique, on ne contrôle pas le prix de l'énergie, mais on contrôle sa propre proposition de valeur.

En pivotant vers des films alternatifs sans PVC (gammes polyuréthane, bases aqueuses) et en structurant une filière de recyclage, l'entreprise réduit son exposition au risque de banalisation. Elle vend de la haute technicité et du service, des éléments moins sensibles aux guerres de prix mondiales. C'est une montée en gamme défensive.

Le coût caché de l'évangélisation

Il faut cependant être lucide sur le risque. Hexis se heurte à la culture du marché. Le client final veut du "vert", mais le poseur ou le transformateur veut souvent du "simple et pas cher". Le dirigeant se retrouve alors dans la position ingrate de l'éducateur.

C'est le piège classique de l'innovateur en B2B : avoir raison trop tôt ou trop seul. Investir pour changer les mentalités est un gouffre financier que seules les entreprises avec les reins solides peuvent se permettre.

Le risque pour Hexis n'est pas technologique, il est culturel. Peuvent-ils imposer ce nouveau modèle avant que la rentabilité de l'ancien ne s'effondre totalement ? C'est une course contre la montre entre la fin d'un monde et le début de l'autre.

Conclusion

Le cas Hexis n'est pas une histoire de plastique. C'est l'histoire de tout dirigeant qui sent le sol se dérober sous son modèle historique.

Clément Mateu nous rappelle que dans une économie en mutation rapide, la sécurité ne réside pas dans l'immobilisme, mais dans le mouvement. Il accepte de remettre en cause son propre modèle, d'alourdir ses processus et de prendre le risque d'être incompris, car l'inaction promet une lente asphyxie.

La vraie question pour votre PME n'est pas de savoir si vous devez devenir "vert" ou "RSE". Elle est de savoir quelle menace plane sur votre secteur, et si vous avez le courage de construire l'arche avant le déluge, même si le soleil brille encore pour quelques trimestres.

Votre modèle actuel vous protège-t-il ou vous enferme-t-il ?

Si Hexis utilise la complexité pour se protéger, Tecofi s'en sert pour se projeter.

La maîtrise de l'usine cesse d'être une charge pour devenir le levier d'une conquête internationale.

Tecofi : Vendre la souveraineté française aux Américains

Le challenge : Changer d'ADN sans casser la machine

Pour comprendre l'audace du pari, il faut regarder d'où part Tecofi, spécialiste de la robinetterie industrielle.

Jusqu'ici, cette PME lyonnaise (250 salariés, 60 M€ de CA) jouissait d'une position confortable d'assembleur agile. En sous-traitant la fabrication de ses vannes en France, en Espagne ou au Brésil, elle maintenait des coûts variables et une grande flexibilité.

Mais pour son DG Fabien Fayard, ce modèle a atteint ses limites. Pour viser les 100 M€ de CA d'ici 2030, il doit changer de métier.

C'est le sens du projet Corbas en région lyonnaise : un investissement de 15 millions d'euros pour construire une usine de 16.000 m². Ce n'est pas un simple déménagement à 3 km de leur site historique, c'est une internalisation totale. Tecofi rapatrie la production pour devenir un manufacturier intégré.

Le risque est financier : l'entreprise troque ses coûts variables contre des coûts fixes massifs. La nouvelle usine est une machine à consommer de la trésorerie qu'il faut impérativement "nourrir" avec des volumes élevés pour ne pas asphyxier le BFR (Besoin en Fonds de Roulement).

Le marché domestique ne suffisant pas à absorber cette nouvelle capacité, la survie du modèle repose sur une conquête extérieure. Fabien Fayard mise sur une fenêtre de tir précise : les États-Unis.

La logique est opportuniste : les concurrents chinois, frappés par les tensions géopolitiques, "ne sont plus les bienvenus" outre-Atlantique. Tecofi doit s'engouffrer dans ce vide immédiatement. L'enjeu est de faire accepter aux Américains un produit français frappé de 15 % de taxes douanières en leur vendant une sécurité que la Chine ne peut plus offrir.

Le défi est temporel : l'opportunité est immédiate, mais l'usine ne sera livrée qu'en 2027. Il faut donc conquérir les volumes américains maintenant, avec le modèle actuel, pour garantir que le futur outil industriel ne tourne pas à vide le jour de son inauguration.

Pour convertir cette lourdeur industrielle en avantage, nous avons modélisé deux scénarios.

Scénario 1 : La plateforme de souveraineté industrielle

Le concept

Dans un monde fracturé par les tensions géopolitiques, l'origine du produit ne se limite plus à une étiquette, elle devient une police d'assurance. L'enjeu n'est plus de vendre un équipement industriel (une vanne), mais de vendre la certitude absolue de son origine "Non-Chine".

L'usine française cesse d'être un centre de coûts à amortir pour devenir l'actif marketing principal : elle est la preuve tangible, visitable et auditable qui élimine le risque politique pour le client américain. On déplace la valeur du produit technique vers la sécurité d'approvisionnement souveraine.

L'exemple d'implémentation : Le "Certificat d'Origine Contrôlée"

Imaginez que l'entreprise déploie, pour ses prospects américains, une interface digitale baptisée "Traçabilité Totale". Plutôt que de simplement commander des vannes, l'acheteur américain accède à une traçabilité précise. Pour chaque lot, il peut visualiser non seulement le certificat matière, mais aussi le flux de production en temps réel dans l'usine de Corbas, via des caméras ou des capteurs connectés (IoT).

Ce certificat transformerait la conformité douanière (souvent une friction administrative) en un service premium. L'entreprise pourrait vendre des contrats de "Sérénité Logistique", garantissant l'origine "Made in France" du produit fini, l'exonérant ainsi des surtaxes ciblant la Chine.

Le client américain ne paierait pas plus cher pour de l'acier, il paierait pour ne jamais avoir à expliquer à son conseil d'administration pourquoi sa supply chain est bloquée en douane. L'usine devient ainsi une garantie de fiabilité que les concurrents asiatiques, même moins chers, ne peuvent pas offrir.

La transposition

Si vos concurrents se battent sur les prix grâce à une production low-cost risquée, comment pouvez-vous utiliser vos coûts fixes locaux pour vendre la seule chose qu'ils ne peuvent pas copier : la sécurité et la certitude ?

Scénario 2 : L'agilité industrielle à l'échelle

Le concept

La verticalisation piège par sa rigidité : une usine doit tourner pour être rentabilisée. L'opportunité est que le marché américain, habitué à la commodité asiatique standardisée, est affamé de sur-mesure rapide.

Ce levier consiste à utiliser l'outil industriel non pas pour produire des grands volumes standards (compétition intenable contre l'Asie), mais pour proposer une personnalisation industrielle en série.

On ne vend plus un produit sur catalogue, on vend une capacité de réponse industrielle immédiate à un besoin spécifique. La marge ne se fait plus sur le volume, mais sur la prime de réactivité et d'adaptation.

L'exemple d'implémentation : L'Atelier "J-5"

Imaginez une offre "Canal Prioritaire" dédiée aux grands comptes américains. Au lieu de subir les délais maritimes de 8 semaines depuis l'Asie, ces clients paieraient un abonnement annuel pour accéder à une ligne de production réservée dans la nouvelle usine française.

Grâce à cet abonnement, ils auraient la garantie d'un assemblage et d'une expédition en 5 jours ouvrés pour des séries critiques ou des configurations spécifiques introuvables sur étagère.

L'entreprise utiliserait son stock de composants (déjà financé par le BFR) et son assemblage local pour configurer les produits à la demande. Le client américain, bloqué sur un chantier par une pièce manquante, ne regarde pas le prix : il regarde le calendrier.

En transformant l'usine en un outil de service ultra-rapide, l'entreprise s'extrait de la compétition sur les prix. Elle valorise sa proximité culturelle et technique, transformant ses stocks dormants en flux de trésorerie accélérés.

En convertissant l'usine en outil de service rapide, l'entreprise s'extrait de la guerre des prix. Elle valorise sa réactivité et monétise ses stocks dormants.

La transposition

Et vous, quel actif "lourd" de votre entreprise, aujourd'hui perçu comme une charge, pourrait être reconfiguré pour offrir une vitesse d'exécution que vos concurrents low-cost sont incapables d'égaler ?

La question critique

Réussir un tel pivot demande d'accepter que la valeur ne réside plus dans ce que l'on fabrique, mais dans la manière dont l'outil de production sécurise et accélère le business des clients.

La question n'est donc pas "Comment remplir mon usine ?", mais "Quel problème coûteux mon outil industriel peut-il résoudre pour mon client, que lui seul ne peut pas régler ?"

La "lourdeur" est la nouvelle agilité

Nous entrons dans une ère où la facilité devient un risque. Les stratégies d'Hexis et de Tecofi illustrent une même vérité : la sécurité ne se trouve plus dans l'évitement des contraintes, mais dans leur maîtrise.

Si cette édition vous a donné une clé pour 2026, partagez-la. Votre réseau a besoin de cette lucidité autant que vous.

Excellente fin d'année à tous,

Eric

Les fondations des analyses

Les analyses présentées dans cette édition s'appuient sur les sources suivantes :

  • Portrait de Clément Mateu / Hexis - L'analyse de sa posture est basée exclusivement sur ses propos publics, rapportés par les sources suivantes : Article de La Tribune (03/12/2025), corroboré par la presse (L'Usine Nouvelle) et d'autres recherches web.

  • Etude de Tecofi : Article de Les Echos (02/12/2025), complété par la presse (Le Journal des Fluides, L'Usine Nouvelle, Le Journal des entreprises, Le Progrès, ) et d'autres recherches web.