- Dirigeants Augmentés
- Posts
- Dirigeants Augmentés : "L'atout Trump" de Symbio s'appelait Stellantis, celui de Sarrel s'appelle le marché. Et le vôtre ?
Dirigeants Augmentés : "L'atout Trump" de Symbio s'appelait Stellantis, celui de Sarrel s'appelle le marché. Et le vôtre ?
Bonjour à tous,
Bienvenue dans Dirigeants Augmentés. Cette semaine, nous plongeons dans l'œil du cyclone.
D'abord avec un décryptage de ce que j'appelle "l'atout Trump" : cette menace externe, imprévisible, qui peut pulvériser un business model en quelques jours, comme viennent de l'apprendre à leurs dépens nos champions de l'énergie.
Puis, nous irons sur le terrain, au cœur de la bataille pour la survie, avec deux cas d'école français. Symbio, trahi par son actionnaire principal, et Sarrel, étranglé par son marché historique. Deux situations de crise extrême, deux leçons de leadership sous une pression maximale.
Ces trois histoires n'en forment qu'une : celle de la vulnérabilité stratégique. Et de l'art de rester debout quand tout s'effondre.
Si ce contenu vous apporte de la valeur, le geste le plus simple est de le partager avec une personne de votre réseau.

Votre business model a-t-il un "atout Trump" ? La leçon à 5 milliards que l'Amérique nous inflige
EDF : -934 millions d’euros. Orsted : -3 milliards de dollars. Des investissements outre-Atlantique divisés par deux pour Engie.
Non, ce n’est pas le bilan d’une catastrophe industrielle. C’est le coût d’une seule décision politique, prise à 6.000 km de vos bureaux.
Le sang est sur les murs de nos fleurons énergétiques. L’arme du crime ? Un simple texte de loi voté à Washington.
L'eldorado américain des énergies vertes, vendu hier comme la terre promise, se révèle être un piège. Un cimetière pour les investissements européens trop confiants.
Comment en est-on arrivé là ? Plus important : comment vous assurer que vous ne serez pas le prochain sur la liste ?
Ce n'est pas un article sur l'Amérique. C'est un test de résistance pour vous.
Anatomie d’un carnage annoncé
Le décor était parfait. De grands espaces, des États comme le Texas ou la Californie qui mettaient le turbo sur l’éolien et le solaire, et un marché assoiffé d’électricité décarbonée. Un terrain de jeu idéal pour l’expertise européenne.
Nos énergéticiens y ont plongé. La tête la première.
Puis le vent a tourné. Et pas celui qui fait tourner les pales. Celui qui souffle depuis la Maison-Blanche. Le retour de Trump a agi comme un détonateur, mais le terrain était déjà miné. La crise sanitaire avait fait flamber le prix des matières premières et les taux d’intérêt, renchérissant chaque projet. La machine était déjà grippée.
Il ne manquait que le coup de grâce.
Il est arrivé avec une précision chirurgicale. Une loi au nom de showman : le "One Big Beautiful Bill Act". Le mécanisme ? La suppression des crédits d’impôts pour tout projet non opérationnel avant le 31 décembre 2027. Dans une industrie où les cycles de développement se comptent en années, c’est une guillotine.
Les permis sont gelés. Les prêts fédéraux bloqués. L’offshore est à l’arrêt complet. Un observateur résume le chaos ambiant : "Si le gouvernement peut tout arrêter, qui voudra encore investir ?"
C'est l'incertitude, érigée en arme de guerre économique.
L’Europe à genoux : la facture de notre naïveté
La punition est immédiate. Et elle est pour nous. Les Européens, pionniers en développant les premiers parcs offshore sur la côte Est, sont les premiers à payer.
La liste des victimes se lit comme un rapport de pertes au combat :
Le norvégien Equinor : 763 millions de dollars d’actifs dépréciés sur son projet au large de New York.
Le danois Orsted, numéro un mondial de l'offshore : plus de 3 milliards de dollars de dépréciation et l'arrêt brutal des travaux de sa ferme Revolution Wind.
EDF : projet Atlantic Shores suspendu. 934 millions d’euros de dépréciation. L'électricien cherche désormais à céder 50% de ses activités là-bas. En clair : on limite la casse et on se retire sur la pointe des pieds.
Engie : 133 millions d’euros de dépréciation. Les investissements prévus pour 2025-2027 sont divisés par deux, passant de 4 à 2 milliards.
Face à ce mur, nos champions pivotent en urgence vers d'autres zones, comme le Moyen-Orient. Un revirement brutal qui sonne comme un aveu de faiblesse.
Seul TotalEnergies semble jouer une partition différente. Son DG Patrick Pouyanné met ses projets en pause mais maintient ses objectifs, estimant que la vraie menace n'est pas tant politique qu'industrielle : les droits de douane. Une analyse lucide. L’Amérique n’a pas la capacité de fabrication pour ses ambitions. Elle a donc besoin des autres, mais selon ses propres règles. En nous taxant au passage.
Le piège est double. Politique et industriel.
Et vous ? Quel est l’atout Trump de votre business model ?
Cette débâcle américaine est une masterclass gratuite sur la vulnérabilité stratégique. Alors, regardez votre entreprise.
Quelle est la variable externe que vous ne maîtrisez pas, mais qui peut pulvériser votre P&L du jour au lendemain ? C’est ça, votre "atout Trump".
Ce peut être :
Un fournisseur clé. Celui qui détient une technologie ou un composant sans qui votre production s'arrête net. Est-il en Chine ? En Turquie ? Dans une zone qui peut s'embraser demain ?
Un client majeur. Ce contrat qui représente 30% de votre chiffre d'affaires. Que se passe-t-il s'il est racheté par un concurrent ou s'il change de stratégie ?
Une dépendance réglementaire. Votre modèle économique repose-t-il sur une norme, une subvention, un crédit d'impôt qu'un changement de gouvernement pourrait balayer ?
Une plateforme technologique. Votre système de vente, votre CRM, votre cloud... Êtes-vous client ou otage d'un géant américain qui peut changer les règles du jeu ou doubler ses tarifs sans préavis ?
Pendant des années, l'Europe a cru que le business était un jeu de gentlemen régi par des règles stables. L'Amérique nous rappelle que c'est un rapport de force. Brutal.
Le monde n'est pas "win-win". Surtout pas en période de crise. La morale, en géopolitique, c'est le storytelling des perdants.
La vraie question n'est pas si votre talon d'Achille sera exposé. Mais quand.
Le cas américain est une leçon magistrale sur la menace externe. Le risque politique, géopolitique, celui qui semble lointain jusqu'au jour où il atterrit brutalement dans votre P&L.
Mais la menace la plus dévastatrice vient rarement de l'extérieur. Elle vient de l'intérieur. De votre propre camp.
Quand celui qui devait vous soutenir devient celui qui vous sabote. Quand un partenaire stratégique, un actionnaire clé, décide unilatéralement de changer les règles du jeu et de vous laisser sur le carreau.
C'est une situation d'une violence inouïe. C'est précisément ce qui est arrivé à Symbio.

Le baptême du feu : comment le CEO de Symbio a transformé la trahison de Stellantis en plan de guerre
L'art de répliquer quand un partenaire vous poignarde
On parle souvent des 100 premiers jours d'un dirigeant. Le temps de l'observation, de l'écoute, de la prise de pouls. Un luxe.
Jean-Baptiste Lucas n'a pas eu 100 jours. Il a eu 48 heures.
Mardi 15 juillet 2025. Il prend les rênes de Symbio, pépite française de l'hydrogène et sa gigafactory flambant neuve, calibrée pour un client majeur qui est aussi actionnaire : Stellantis. La feuille de route est claire.
Deux jours plus tard, le 17 juillet, la bombe explose. Stellantis annonce l'arrêt de son programme hydrogène. 80% du business plan de Symbio est anéanti.
Le cauchemar absolu pour un CEO fraîchement arrivé.
C'est ici, dans le chaos, que le leadership est testé. Mais la leçon n'est pas la chute. Elle réside dans la fulgurance de sa contre-offensive en 60 jours.
Acte 1 : encaisser sans imploser (Juillet)
La première décision de Lucas n'est pas stratégique, mais tactique. Dès la fin juillet, il met en place un accord d'activité partielle de longue durée (APLD). L'objectif est double : éviter une vague de licenciements qui aurait provoqué une hémorragie de compétences critiques, et anesthésier la plaie sociale pour s'acheter du temps.
En parallèle, il verrouille sa base arrière. Face à la crise, les deux autres actionnaires, Michelin et Forvia, sont contraints de réaffirmer leur soutien. Ils injectent des liquidités début août. La survie à court terme est assurée.
La leçon est clinique. Avant même de penser à reconstruire, un leader doit stopper l'hémorragie. La maîtrise du cash et la cohésion sociale ne sont pas des détails. Ce sont les conditions de survie qui permettent d'envisager un futur.
Face à un choc qui pulvérise vos certitudes, avez-vous la lucidité de vous concentrer d'abord sur ce qui vous permettra de combattre demain ?
Acte 2 : la vision comme arme de reconquête (Août)
Une fois le navire stabilisé, Lucas lance la contre-offensive. Et elle est d'abord psychologique. Alors que l'écosystème ne parle que de survie, il prend la parole pour marteler un objectif qui semble délirant : faire de Symbio "un champion technologique capable de rivaliser avec la Chine".
C'est un coup de génie stratégique.
Il refuse le statut de victime et il change la nature de la conversation. On ne parle plus de "comment limiter la casse", mais de "comment construire l'alternative". Cette vision n'est pas un tableur Excel. C'est une arme de reconquête.
Elle redonne un "pourquoi" aux 640 salariés, elle envoie un signal de force aux actionnaires restants et elle montre aux futurs clients qu'ils ne traitent pas avec une entreprise en soins palliatifs, mais avec un futur leader en pleine réinvention.
Quand votre marché s'effondre, passez-vous votre temps à analyser les décombres, ou à dessiner les plans du prochain édifice, même si vous n'avez pas encore les fondations ?
Acte 3 : le pivot comme plan de guerre (Septembre)
Une vision sans exécution n'est qu'une hallucination. Sa vision, Lucas la traduit en un plan de transformation radical. Il lance une offensive commerciale tous azimuts pour diversifier le portefeuille. Fini la dépendance mortelle à un seul acteur.
Les cibles sont claires : les constructeurs de poids lourds, les bus, les utilitaires légers hors Stellantis. La presse spécialisée évoque des discussions avancées avec des acteurs allemands et coréens.
C'est la phase la plus dure. Celle où la vision doit se confronter à la réalité du marché. Celle où il faut transformer un discours audacieux en contrats signés.
Le cas de Jean-Baptiste Lucas chez Symbio est une masterclass en temps réel sur la gestion de crise post-trahison. Le véritable test du leadership n'est pas d'éviter les catastrophes. C'est de les utiliser comme carburant pour une transformation plus rapide et plus radicale.
Votre "traître" n'est pas forcément un actionnaire. C'est peut-être une rupture technologique que vous ignorez. Une nouvelle régulation qui couve à Bruxelles. Ou la faillite de ce fournisseur-clé que tout le monde croit intouchable.
Le test n'est pas de gagner avec les cartes que vous avez. Le test est de savoir à quelle vitesse vous pouvez retourner la table quand un partenaire a truqué la partie.
La vraie question n'est donc pas "quelle table retourner ?". C'est : "Qui, dans mon propre camp, est en train de la truquer en ce moment-même ?"
Symbio nous montre la brutalité de la dépendance à un seul acteur. Une trahison qui force à une réinvention totale dans l'urgence absolue.
Mais que faire quand le traître n'est pas un acteur... mais votre marché tout entier ? Quand le secteur qui vous a nourri pendant des décennies s'effondre sous vos pieds, vous laissant avec une expertise magnifique, mais plus personne à qui la vendre ?
C'est un poison plus lent, mais tout aussi mortel. Une asphyxie progressive qui teste la capacité d'un dirigeant non plus à survivre à un choc, mais à pivoter avant qu'il ne soit trop tard.
C'est le dilemme du sous-traitant. C'est l'histoire du Groupe Sarrel.

Le dilemme du sous-traitant : comment le Groupe Sarrel transforme une contrainte réglementaire en moteur de diversification
Le Groupe Sarrel, sous-traitant industriel dirigé par Pierre-Henry Hubert, est leader de la métallisation plastique. Mais avec 97% de dépendance à un marché automobile en crise, et un chiffre d'affaires en recul de 35%, il fait face à un défi existentiel : comment survivre et se réinventer ? Son histoire est une leçon de stratégie pour toute PME industrielle prise au piège.
L'Équation Impossible
Le défi pour une PME industrielle dépendante à 97% d'un marché automobile en crise, avec un chiffre d'affaires en recul de 35%, est un cas d'école.
Sur la table, un choix cornélien. Avec des ressources limitées, comment arbitrer entre :
La survie : un investissement défensif et réglementaire de 5M€ pour maintenir en vie un cœur de métier en déclin.
La conquête : le financement d'une diversification offensive vers de nouveaux marchés comme le luxe ou le sanitaire.
Le véritable enjeu est de transformer un savoir-faire historique en nouvelles lignes de revenus, sans se laisser asphyxier par les coûts de survie de son ancien modèle.
Un tel défi n'est pas une impasse, mais une feuille blanche. Le manager subit les règles du jeu. Le leader les réécrit. Voici deux scénarios possibles pour explorer comment transformer cette contrainte en force motrice.
Levier 1 : Monétiser l'outil industriel pour financer la survie
Le Principe Stratégique
Une capacité de production sous-utilisée n'est pas une fatalité, c'est un actif dormant. Le principe est de transformer ce centre de coût en centre de profit en vendant l'accès à son savoir-faire et à ses machines comme un service. Pour une PME en crise, c'est le moyen le plus rapide de générer du cash avec des ressources existantes pour financer sa propre transformation.
L'Exemple d’Implémentation : "L'Usine Agile"
Imaginez que Sarrel lance "L'Usine Agile" : une offre de service premium pour des PME des secteurs du luxe, de l'électroménager ou du sanitaire.
Ces entreprises, qui n'ont ni l'envie ni les moyens d'investir dans une ligne de chromage de pointe, pourraient louer les compétences techniques et les plages horaires disponibles des machines de Sarrel, pour du prototypage rapide ou des micro-séries. Sarrel ne vend plus seulement des pièces, mais de la flexibilité et de l'excellence à la demande, générant des revenus immédiats sur ses actifs existants.
La Leçon Transposable
Et vous, quel savoir-faire unique ou quelle capacité de production inutilisée pourriez-vous "transformer en service" pour générer de nouvelles lignes de revenus et financer vos investissements stratégiques ?
Levier 2 : Transformer une contrainte réglementaire en marque premium
Le Principe Stratégique
Une nouvelle norme n'est pas qu'un coût, c'est une opportunité de créer un nouveau standard de marché. Le principe est de prendre une contrainte subie (ici, l'interdiction du Chrome VI) et de la transformer en un argument de vente si puissant qu'il devient une marque à part entière.
L'entreprise ne vend plus un produit conforme, elle vend une garantie de supériorité.
L'Exemple d’Implémentation : "Le Sceau 'ChroMclean'"
Sarrel pourrait créer "Le Sceau 'ChroMclean'", un label de qualité co-brandé, proposé à ses nouveaux clients du sanitaire ou de la parfumerie. Un fabricant de robinetterie de luxe, par exemple, pourrait apposer ce sceau sur son packaging, garantissant au client final un produit non seulement design, mais aussi fabriqué selon les normes environnementales et sanitaires les plus strictes.
La technologie "Zéro CrVI" de Sarrel, initialement défensive, devient un ingrédient premium qui justifie un prix plus élevé pour le produit final.
La Leçon Transposable
Et vous, quelle contrainte (norme, réglementation, standard qualité) que vous subissez aujourd'hui pourriez-vous transformer en un label de confiance et un avantage concurrentiel décisif pour vos propres clients ?
La Question Qui Ouvre le Jeu
Le cas Sarrel nous enseigne qu'en période de crise, le risque n'est pas le manque de ressources. C'est le manque d'imagination. La survie et la diversification ne sont pas des ennemis qui se cannibalisent, mais deux moteurs qui peuvent s'alimenter l'un l'autre.
La question n'est donc plus : "faut-il défendre l'ancien monde ou conquérir le nouveau ?". La vraie question, la seule qui compte, est : "Comment la défense de mon ancien monde peut-elle financer la conquête du nouveau ?"
Au-delà de la survie, la manœuvre
Les trois cas de cette semaine nous rappellent une vérité : la solidité d'un modèle d'affaires ne se mesure pas par temps calme, mais dans la tempête. Que la menace soit un décret politique (Trump), une trahison (Symbio) ou un effondrement de marché (Sarrel), la leçon est la même. La résilience n'est pas une option, c'est la compétence clé. Le véritable leadership n'est pas d'avoir le meilleur plan A, mais d'avoir la lucidité et le courage d'exécuter un plan B quand le premier a volé en éclats.
La semaine prochaine, nous devrions explorer une autre manière de bâtir. Comment une ETI française a-t-elle transformé un service que tout le monde considère comme une charge – le service client – en son arme la plus redoutable ? Comment ont-ils fait de chaque interaction post-vente une opportunité de renforcer leur marque et de générer du revenu ?
Si vous pensez qu'un autre dirigeant a besoin de ces réflexions, invitez-le à nous rejoindre.
À la semaine prochaine,
Eric