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Dirigeants Augmentés : Le ciel ou la mêlée ? La leçon de Biosynex et Bénéteau
Bonjour,
Voici mes analyses de la semaine. Directes. Sans concession. Si ce contenu vous est utile, il le sera pour un autre leader de votre entourage. Le partage est votre seule contribution.
L'édition d'aujourd'hui est un triptyque stratégique. Un parcours en trois temps qui commence par la conquête, explore le piège de la victoire, et se termine par l'art de la réinvention.
Nous verrons d'abord comment des visionnaires s'élèvent au-dessus de la mêlée pour conquérir des territoires inexplorés. Puis, nous disséquerons le plus grand des paradoxes : comment le succès d'hier devient la plus grande vulnérabilité de demain, créant des angles morts qui peuvent être fatals. Enfin, nous analyserons une solution concrète pour ne plus vendre un produit, mais construire une forteresse relationnelle.
Comment la plus grande des forces peut-elle devenir votre talon d'Achille ?
La réponse commence 20 km au-dessus de vos concurrents.

Thales, Hemeria et la conquête des zones grises : pourquoi votre champ de bataille est déjà obsolète
Vous avez la tête dans le guidon. Vos concurrents aussi.
Vous vous battez pour les mêmes parts de marché, avec les mêmes armes, dans une arène surpeuplée où chaque point de marge se négocie âprement. Vous subissez la pression des coûts, l'incertitude géopolitique, la complexité réglementaire. C'est la réalité de la plupart des dirigeants aujourd'hui. Une guerre de tranchées épuisante.
Pendant ce temps, à 20 km au-dessus de vos têtes, certains préparent la guerre de demain.
L'article récent des Echos sur le redémarrage des projets de ballons stratosphériques en France n'est pas une simple actualité technologique. C'est un signal stratégique majeur. Il révèle la conquête d'un nouveau territoire : la "très haute altitude".
Une "zone grise", comme la nomme l'Armée de l'air, située entre l'aviation classique et l'espace. Un no man's land juridique et technique. Et bientôt, un nouveau champ de bataille pour la souveraineté.
Deux acteurs français s'y positionnent : le géant Thales Alenia Space et la PME Hemeria. Une dynamique qui parlera à beaucoup d'entre vous.
Un nouveau Far West au-dessus des nuages
Le projet Stratobus de Thales est un monstre de 140 mètres de long, capable de loger la cathédrale Notre-Dame. Un dirigeable qui vise une permanence d'un an dans la stratosphère, emportant 400 kg de matériel pour surveiller une zone de 500 km de diamètre. L'illustration est frappante : avec deux Stratobus, on pourrait couvrir en continu toute la frontière de la Biélorussie à la Crimée.
Hemeria, le fournisseur historique des ballons du CNES, joue une autre carte avec son projet BalMan : un ballon plus léger, manœuvrant, capable de changer d'altitude comme un sous-marin et d'être déployé rapidement par un A400M au-dessus d'un théâtre d'opérations. Il ne s'agit pas d'une redite des ballons espions chinois, mais d'une plateforme agile et pilotable.
Pendant que la compétition fait rage au sol, une nouvelle dimension stratégique s'ouvre. Un espace où la permanence, la vision d'ensemble et la connectivité redéfinissent les règles du jeu. Un avantage asymétrique se dessine pour ceux qui sauront l'exploiter.
Bien sûr, ces engins ont leurs limites. Un Stratobus serait une cible facile dans un conflit de haute intensité. Mais sa valeur pour rétablir les télécommunications après une catastrophe naturelle ou pour surveiller des zones immenses à moindre coût est colossale. Le travail d'un avion sentinelle AWACS pour une fraction du prix.
Quelle est votre zone grise ?
Maintenant, la question n'est pas de savoir si vous allez acheter un Stratobus.
La vraie question est : quelle est VOTRE zone grise ?
Ce nouveau Far West stratosphérique est une métaphore puissante pour tout dirigeant. Il représente ces espaces de valeur inexploités, juste à la lisière de votre marché traditionnel, que personne ne regarde parce que tout le monde est obsédé par la ligne d'arrivée immédiate.
Votre "très haute altitude", c'est peut-être :
Un besoin client non servi que votre technologie pourrait adresser avec une adaptation mineure.
Un nouveau business model (abonnement, service...) pour un produit que vous vendez de manière traditionnelle.
Une "zone grise" réglementaire ou normative que vous pourriez transformer en barrière à l'entrée.
L'hybridation de deux compétences que votre entreprise maîtrise, mais n'a jamais pensé à combiner pour créer une offre unique.
La démarche de Thales et Hemeria n'est pas technologique. Elle est stratégique. Ils ne se sont pas demandé comment améliorer un avion ou un satellite existant. Ils se sont demandé : quel est l'espace non-contesté où nous pourrions apporter une valeur radicalement différente ?
C'est là que se trouve l'antidote à l'incertitude et à la pression concurrentielle. Il ne s'agit pas de se battre plus fort dans l'arène, mais de trouver le moyen de s'élever au-dessus. Changer de dimension. Rendre les règles de la compétition au sol obsolètes.
Pendant que vos concurrents optimisent leurs processus pour gagner 2% de productivité, vous pourriez être en train de créer un marché où vous êtes seul. C'est ça, la pensée stratégique.
Vos concurrents ont le nez collé sur la ligne de front.
Et vous ?
Oserez-vous lever la tête pour conquérir le ciel ?
Après l'ascension, vient le vertige. Le succès est un sommet où l'oxygène se raréfie et le jugement s'altère. C'est là que l'ivresse du conquérant forge les défaites du lendemain.

Anatomie d'une chute : la leçon Biosynex pour tous les leaders post-croissance
On pense souvent que le plus dur est de gérer la crise. Une erreur.
Le plus dur, c’est de gérer le succès. Surtout quand il a été fulgurant, presque insolent. C'est le piège dans lequel est tombé Larry Abensur, le PDG de Biosynex.
Après avoir multiplié son chiffre d’affaires par dix entre 2019 et 2021 grâce aux tests Covid, son entreprise se retrouve aujourd'hui en procédure de sauvegarde, une filiale en liquidation. L'euphorie s'est muée en "gueule de bois" financière et stratégique.
Cette chute n'est pas une simple histoire de retournement de marché. C'est une leçon magistrale sur les angles morts du pouvoir et la solitude du dirigeant face à une réalité qui change plus vite que ses certitudes. Une leçon pour tous ceux qui, un jour, ont cru avoir gagné la partie.
1. L'ivresse du conquérant, ou le syndrome de l'après-guerre
Le succès massif et rapide est un poison. Il injecte dans les veines du dirigeant une confiance qui frôle l'infaillibilité. Chaque décision passée ayant été la bonne, chaque pari ayant payé, l'ego prend le pas sur la lucidité. Biosynex, gorgée de cash post-pandémie, s'est lancée dans une stratégie de croissance externe agressive. Logique, sur le papier. Indispensable, même.
Le problème n'est pas l'ambition. C'est l'ivresse. En juillet 2025, Larry Abensur célébrait encore sa pénétration du marché américain, "le plus grand du monde", se félicitant d'y être entré "au bon moment". Il parlait d'un "bond de géant", de marges de "80 à 90 %". Le langage n'est plus celui d'un stratège, mais d'un conquérant qui voit le monde à travers le prisme de ses victoires passées.
Il a confondu une marée favorable avec son génie propre.
Cette euphorie crée un angle mort majeur : la sous-estimation de la complexité du "temps de paix". Gérer une croissance explosive en temps de crise est une chose. Bâtir un modèle pérenne sur un marché normalisé en est une autre. Abensur a continué à jouer en mode "guerre" (investissements massifs, R&D à fonds perdus) alors que le monde était déjà passé à autre chose.
Le cash n'était plus un carburant. C'était un anesthésiant.
2. Le pari de trop : quand la vision devient un dogme
Le plus grand piège pour un leader, ce n'est pas l'échec, c'est une stratégie qui a trop bien réussi. Elle devient un dogme.
Pour Biosynex, ce dogme fut la conquête américaine. Une vision juste, mais un timing et une exécution déconnectés de la réalité. Face à des résultats qui ne suivaient pas les investissements, la réaction n'a pas été de pivoter, mais de doubler la mise. De "soutenir la R&D aux États-Unis sans réaliser suffisamment de ventes en face".
On s'accroche à la vision qui nous a fait gagner hier, incapable d'admettre qu'elle nous mène au désastre aujourd'hui. L'échec de la cession des actifs nord-américains, justifié par un "climat des affaires difficile", n'est que le symptôme de ce déni. Le vrai problème, c'est qu'on a voulu vendre un actif surévalué par l'ego, à un marché qui, lui, avait déjà rendu son verdict.
La leçon est implacable : quand les faits contredisent votre vision, ce ne sont jamais les faits qui ont tort. Un dirigeant doit savoir tuer ses propres idées, surtout celles qu'il a le plus aimées. C'est à ce prix qu'il évite de transformer un pari audacieux en fiasco personnel. La frontière entre la conviction et l'entêtement est fine. Pour Biosynex, elle a été franchie.
3. Le réveil : du trône au champ de ruines
La procédure de sauvegarde est plus qu'une contrainte juridique. C'est un électrochoc.
C'est le moment où le leader, hier encore porté aux nues, se retrouve seul, face aux conséquences de ses décisions. Le passage du "conquérant ambitieux" au "leader en mode survie" est d'une violence inouïe. La solitude du pouvoir n'est jamais aussi assourdissante que lorsqu'il faut gérer les ruines de sa propre ambition.
Le challenge de Larry Abensur n'est plus de croître. Il est de survivre. Il doit piloter une transformation radicale, non plus choisie mais subie. Il doit reconquérir la confiance de ses équipes, négocier sa légitimité avec ses créanciers, et rebâtir la sienne.
Ce n'est plus un marathon, c'est une opération de déminage où chaque pas peut être le dernier.
C'est ici que se mesure la véritable trempe d'un dirigeant. Non pas dans sa capacité à gagner quand tout va bien, mais dans sa capacité à se réinventer au milieu du chaos. À faire le deuil de l'euphorie passée pour reconstruire, pièce par pièce, un modèle viable, humble, ancré dans la réalité. Pas celle de ses rêves. Celle du marché.
La question qui se pose à chaque dirigeant qui a connu le succès est donc simple. Violente. Et vous, quelle est votre gueule de bois stratégique ?
Face aux ruines, deux options : subir ou reconstruire. Subir, c'est rester prisonnier du passé. Reconstruire, c'est transformer le problème en arme. Un leader industriel a déjà choisi son camp.

Quand votre plus grand concurrent est votre propre passé : comment Bénéteau réinvente son modèle face au marché de l'occasion
Leader mondial du nautisme, le groupe Bénéteau fait face à un retournement de marché brutal. Dirigé par Bruno Thivoyon, le géant vendéen affronte non pas un concurrent classique, mais une double disruption : la cannibalisation par ses propres bateaux d'occasion et le basculement des clients de la propriété vers l'usage.
Le Challenge sur la Table
Pour un leader industriel comme Bénéteau, dont le modèle économique repose historiquement sur la production et la vente de bateaux neufs, le challenge est clair : défendre sa part de marché et sa rentabilité face à une double disruption structurelle qui pulvérise les anciennes règles. D'un côté, la cannibalisation par son propre marché de l'occasion. De l'autre, le basculement de la demande de la possession vers l'usage (location, services).
Comment, dans ce contexte, l'innovation produit, même massive, peut-elle suffire à contrer une transformation qui ne concerne plus l'objet lui-même, mais la manière de le consommer ? Le tout, en intégrant les contraintes conjoncturelles que sont les taxes et les cycles économiques.
Face à ce diagnostic, deux leviers d'innovation pourraient transformer cette contrainte en avantage décisif :
Levier 1 : Transformer le Concurrent en Actif Stratégique
Le Principe Stratégique
Lorsqu'un industriel fabrique un produit durable, il crée mécaniquement son pire concurrent : son propre produit, quelques années plus tard, sur le marché de l'occasion. Tenter de l'ignorer est une erreur. La seule stratégie viable est d'en prendre le contrôle. Il ne s'agit plus de combattre l'occasion, mais de l'absorber, la certifier et la monétiser pour en faire un actif maîtrisé plutôt qu'une menace diffuse.
L'Exemple d’Implémentation : L'Offre "Héritage Certifié"
Imaginez un programme baptisé "Bénéteau Certified Occasion" (BCO). Ce n'est pas une simple annonce. C'est une filière industrielle.
Les concessionnaires reprennent les unités de moins de 10 ans, qui sont ensuite acheminées vers des "Refit Hubs" installés dans les usines du groupe. Là, le bateau subit un audit complet et un retrofit en deux temps : une certification structurelle garantie par l'expertise unique de Bénéteau, et une mise à niveau technologique obligatoire (dernière version de l'écosystème connecté Seanapps, voire option de propulsion hybride). Le bateau ressort avec un label "Héritage Certifié", une garantie constructeur d'un an, et une valeur sur le marché qui n'est plus celle d'une simple occasion, mais celle d'un produit ré-industrialisé par son créateur.
La Leçon Transposable
Votre entreprise a des années, voire des décennies d'historique. Vos anciens produits sont sur le marché, hors de votre contrôle. La question est : comment pourriez-vous reprendre le contrôle de votre propre marché de l'occasion pour en faire un levier de croissance, au lieu d'une menace ?
Levier 2 : Vendre l'Accès, pas seulement l'Objet
Le Principe Stratégique
La transition de la possession vers l'usage n'est plus une tendance, c'est une lame de fond. Pour un industriel, cela signifie que la valeur ne se trouve plus uniquement dans la transaction initiale, mais dans la relation continue avec l'utilisateur.
Le principe est simple : le produit devient un cheval de Troie. On le vend à un prix compétitif pour conquérir le marché, puis on capture la valeur sur la durée via des consommables, ou des services à forte marge qui en garantissent l'usage.
L'Exemple d’Implémentation : Le "Contrat Performance Garantie"
Bénéteau lance 10 nouveaux modèles à propulsion alternative. Au lieu de vendre un "bateau électrique" plus cher, le groupe pourrait s'inspirer du modèle "Power-by-the-hour" de l'aéronautique. L'idée : le bateau est vendu à un prix accessible, mais sa pleine performance est conditionnée à un abonnement annuel, le "Contrat Performance Garantie".
Cet abonnement n'est pas une simple extension de garantie. C'est un service qui inclut : la mise à jour logicielle à distance pour débloquer la pleine puissance du moteur, le diagnostic prédictif et la gestion de la santé des batteries via Seanapps, et le remplacement garanti des packs d'énergie. Le client n'achète plus une batterie, il achète la certitude de pouvoir naviguer.
La Leçon Transposable
Vos produits intègrent de plus en plus de technologie, de logiciels, de services. La question est : quelle technologie ou service indispensable pourriez-vous lier à vos produits pour transformer une vente unique en une relation de revenus récurrents ?
La Question Qui Ouvre le Jeu
Le cas Bénéteau n'est pas anecdotique. Il est le miroir des défis qui attendent tout leader industriel dont les produits ont une longue durée de vie. Face à un monde qui préfère l'accès à la propriété, la réponse ne peut être que dans la maîtrise du cycle de vie complet : de la naissance du produit jusqu'à sa seconde vie certifiée, en passant par la monétisation de son usage au quotidien.
La vraie question n'est donc pas de savoir si vous devez innover sur votre produit.
La question est : quelle part de votre futur chiffre d'affaires proviendra de la maîtrise de votre passé ?
La lucidité ou le déclin : il faut choisir
Le message de cette semaine tient en une seule idée : levez les yeux, car les vraies opportunités sont au-dessus du champ de bataille quotidien.
Mais méfiez-vous de vos victoires, car l'euphorie d'aujourd'hui prépare la crise de demain. Enfin, bâtissez vos défenses sur la force de vos relations clients, pas seulement sur la hauteur de vos murs.
La semaine prochaine, nous poursuivrons en décryptant les signaux faibles de la prochaine zone de turbulence, et nous exposerons la faille que 90% des boîtes ignorent dans leur organisation. Ce sera dense. Ce sera direct.
Si vous connaissez un leader qui navigue dans ces eaux troubles, invitez-le à nous rejoindre en lui partageant cette newsletter. La lucidité est un sport qui se pratique mieux à plusieurs.
À la semaine prochaine,
Eric
Fondations de l'analyse (hors recherches web)
Les analyses présentées dans cette édition s'appuient sur les sources ouvertes suivantes :
Dossier "Ballons stratosphériques" : Enquête des Echos (30/09/2025), complétée par des publications de L'Usine Nouvelle et La Tribune.
Cas "Biosynex" - L'analyse de la posture de Larry Abensur est une réflexion basée exclusivement sur les propos rapportés dans les sources publiques suivantes : Article des Echos (01/10/2025), corroboré par la presse économique (Les Echos, La Tribune).
Cas "Bénéteau" : Article de La Tribune (27/09/2025), complété par plusieurs articles des 3 derniers mois.