- Dirigeants Augmentés
- Posts
- Dirigeants Augmentés : Le système vous ignore ? Le virage brutal de Septeo, la souveraineté de Dalkia
Dirigeants Augmentés : Le système vous ignore ? Le virage brutal de Septeo, la souveraineté de Dalkia
Bonjour à tous,
Bienvenue dans Dirigeants Augmentés.
Cette semaine, nous disséquons la frustration stratégique. Celle qui vous ronge lorsque vous avez eu raison trop tôt. Quand l’inertie du système vous ignore.
Le parcours est un triptyque.
D’abord, le diagnostic : le constat glacial de la promesse brisée de "l’économie de guerre". Ensuite, le sursaut : la réponse psychologique du leader qui transforme sa rage en carburant nucléaire, à travers le cas Septeo. Enfin, l’architecture : la méthode pour construire sa propre souveraineté et industrialiser l’excellence, inspirée par Dalkia.
Trois articles, une seule question : face à la frustration, êtes-vous une victime ou un stratège ?
Si ces mots résonnent, c'est que cette édition doit être partagée. C'est une conversation stratégique, pas une simple lecture.

"Économie de guerre" : derrière le rideau de fumée, la trésorerie des PME brûle
L'expression est sur toutes les lèvres depuis 2022 : "Économie de guerre". Elle claque comme un étendard. Elle évoque la mobilisation générale, la puissance industrielle, l'effort collectif d'une nation qui se redresse. Une promesse de carnet de commandes plein, de cadences qui s'accélèrent, et d'un "ruissellement" vertueux des milliards de la Loi de Programmation Militaire vers le tissu productif.
La musique est belle. La partition, elle, est fausse.
Sur le terrain, loin des micros et des communiqués de presse, les PME et ETI françaises ne sont pas en économie de guerre. Elles sont en économie d'attente. Une attente qui coûte cher. Très cher.
Le théâtre des opérations : des usines en surcapacité
Le premier acte de cette pièce absurde se joue dans les usines. Des dirigeants de PME, patriotes et entrepreneurs, ont entendu l'appel. Ils ont pris le risque. Ils ont investi.
Ludovic Ouvry, à la tête de l'entreprise qui porte son nom, a misé sur une nouvelle usine pour produire plus d'équipements de protection. Résultat ? "Une surcapacité de production" et une "déception". Une commande notifiée en 2024 reste lettre morte. Chez Aérometal, Clarisse Maillet vit le même scénario. Elle a demandé à ses équipes de "se mettre en ordre de marche". Elle a recruté. Elle a augmenté ses capacités. Elle a inauguré une nouvelle usine. Elle attend toujours les commandes.
Ce ne sont pas des cas isolés. C'est une lame de fond. La grande fracture entre la stratégie et l'exécution. Entre l'annonce et l'acte d'achat. Pendant que les grands donneurs d'ordres, KNDS, Dassault, MBDA, profitent – à juste titre – de la hausse des cadences, la majorité des sous-traitants attendent un ruissellement qui ne vient pas. Nicolas Dufourcq de Bpifrance le martèle sans détour : "L'argent public ne ruisselle pas".
Le problème n'est pas la volonté des entrepreneurs. Il est dans l'inertie du système. La décision stratégique, aussi juste soit-elle, s'enlise. Elle se perd dans les méandres de la bureaucratie et des grands groupes.
Le mur invisible : la pénurie de compétences
Le paradoxe est encore plus cruel. Imaginons que demain, par miracle, les commandes arrivent. L'écosystème serait-il prêt ? La réponse est non.
Jean-Luc Logel, de Centralp, est l'un des rares à voir son activité militaire tirée par l'export. Il pourrait doubler sa part défense, passer en 3x8. Son problème ? "La difficulté sera d'embaucher et de former rapidement". Il a les machines. Il n'a pas les hommes.
L'économie de guerre ne se décrète pas. Elle se construit. Et elle repose sur deux piliers : des commandes fermes et des compétences disponibles. Aujourd'hui, les deux piliers sont fissurés. D'un côté, des PME qui ont investi à perte. De l'autre, un goulot d'étranglement sur les talents qui rend toute montée en puissance hypothétique. La stratégie sans les moyens n'est pas une stratégie. C'est de la communication.
La vraie guerre se joue sur la trésorerie
Le véritable champ de bataille pour ces dirigeants n'est ni en Ukraine, ni dans les grands états-majors. Il est dans leur bilan.
L'étude de Bpifrance est un électrochoc. Le verdict : 37 % des PME-ETI de la défense ont des difficultés de trésorerie. 25 % peinent à obtenir des prêts bancaires. L'Institut Montaigne parlait déjà d'un tissu "sous-profitable et surendetté" avec des marges de 5 à 6 %.
Voilà la réalité. Des entreprises fragiles, qui ont fait le pari de la confiance, et qui se retrouvent aujourd'hui à financer l'attentisme de l'État et des grands groupes. Le risque est simple : l'asphyxie. Voir sa trésorerie se tendre jusqu'au point de rupture, parce qu'on a eu raison trop tôt. Parce qu'on a cru à la parole donnée.
L'instabilité politique et les retards budgétaires sont pointés du doigt. Comment planifier des investissements lourds quand le budget 2026 est renvoyé aux calendes grecques par un énième remaniement ?
La question n'est plus de savoir si le ruissellement va arriver. La vraie question est : combien de ces PME stratégiques seront encore en vie pour en bénéficier ?
Rester immobile, c'est la mort assurée. Mais avancer sur la base d'une promesse creuse, c'est un suicide. La seule boussole d'un dirigeant, ce ne sont pas les discours. Ce sont les contrats signés. Le reste n'est que littérature.
Cette frustration du sous-traitant, c'est celle du champion invisible, cet acteur de l'ombre qui fait tourner la machine mais que l'écosystème ignore.
Que faire de cette injustice ? La subir ou la transformer en rage de vaincre ?
L'histoire qui suit est celle d'un leader qui a choisi son camp.

Septeo à 3 milliards : la leçon de leadership d'un PDG qui se bat dans l'ombre
On pense souvent que la plus grande menace pour un dirigeant est l'échec.
C'est une erreur.
La menace la plus insidieuse, c'est le succès sans la reconnaissance. C'est le paradoxe que vit Hugues Galambrun, PDG fondateur de Septeo. Voilà une ETI française qui pèse 3 milliards d'euros, un leader de la souveraineté des données qui domine ses marchés. Un empire de l'ombre, dont le fondateur confie lui-même souffrir d'un "déficit de notoriété".
Cette frustration pourrait être un frein. Un poison lent. Mais c'est tout l'inverse.
Face à la révolution de l'IA, Galambrun ne se contente pas d'adapter son entreprise. Il lui impose un "virage brutal". Il rachète Bylaw, une pépite de l'IA, et investit massivement pour transformer toute son offre. Son diagnostic est sans appel : dans deux ans, il sera trop tard. Ceux qui n'auront pas bougé seront morts.
Cette urgence, cette intensité, ne vient pas seulement d'une analyse de marché lucide. Elle puise sa source ailleurs. Dans cette blessure intime. Celle du champion que personne ne voit.
Le carburant nucléaire de la frustration
Un dirigeant lucide sait que le marché est une arène. Injuste. Brutale. On peut avoir les meilleurs chiffres, la meilleure stratégie, la plus belle croissance, et rester un acteur de second plan dans la perception de l'écosystème.
Que faire de cette injustice ?
L'option la plus commune est l'amertume. Le cynisme. On se plaint en coulisses, on blâme les médias, on dénonce le "système". C'est une posture de victime. Elle consomme de l'énergie et ne produit rien.
L'autre option, c'est celle du stratège. Transformer cette frustration en carburant. En rage de vaincre.
Le manque de reconnaissance devient alors un moteur psychologique surpuissant. Chaque article qui ignore votre succès, chaque concurrent moins performant mais plus visible, chaque expert qui oublie de vous citer devient une dose de motivation pure. Ce n'est plus une blessure d'ego. C'est une information stratégique : le monde ne vous attend pas. Vous devez forcer sa porte.
L'accélération brutale de Septeo sur l'IA n'est pas qu'une décision business. C'est la réponse d'un leader qui a décidé de rendre son entreprise incontournable. Non pas pour la gloire. Mais pour la survie. Il ne demande pas la reconnaissance. Il va la prendre.
Le double front du dirigeant invisible
Piloter une transformation de cette ampleur, c'est déjà mener une guerre sur un front externe. Il faut imposer une nouvelle culture, faire monter en compétence 3 200 salariés, repenser chaque produit, et tout ça dans une course contre la montre. C'est le quotidien de tout dirigeant face à un choc technologique.
Mais le "champion invisible" se bat sur un deuxième front. Un front intérieur, silencieux.
Il doit maintenir une énergie de conquête absolue tout en gérant la frustration de ne pas être reconnu à sa juste valeur. Comment mobiliser ses troupes pour un sprint vital quand on a le sentiment de courir dans le vide médiatique ? Comment justifier des investissements massifs quand l'écosystème regarde ailleurs ?
C'est là que se joue la différence entre le manager et le leader. Le manager a besoin de la validation externe pour avancer. Le leader, lui, puise sa légitimité dans sa propre vision. La solitude et le manque de reconnaissance, loin de l'affaiblir, renforcent sa conviction. Puisqu'il est seul, il n'a d'autre choix que d'avoir raison.
Cette pression du double front forge un leadership d'une trempe particulière. Un leadership qui ne dépend pas des applaudissements. Un leadership forgé dans le silence et l'adversité.
La solitude comme arme stratégique
Le paradoxe ultime, c'est que ce "déficit de notoriété" est peut-être le meilleur atout de Septeo aujourd'hui.
Une entreprise surexposée est scrutée, attendue au tournant. Chaque mouvement est commenté, chaque erreur disséquée. La pression de l'image peut paralyser l'audace.
L'acteur qui opère dans l'ombre a un avantage tactique immense : la liberté. La liberté d'expérimenter sans témoin. La liberté de pivoter sans justification publique. La liberté de construire une machine de guerre en silence, pendant que les autres paradent. Et de frapper le premier.
Le "virage brutal" de Galambrun est d'autant plus puissant qu'il a été préparé sans le bruit et la fureur du cirque médiatique. Quand le marché réalisera l'ampleur de la transformation de Septeo, il ne sera plus temps de réagir. Il sera trop tard.
La reconnaissance viendra. Mais elle ne sera pas le début de l'histoire. Elle en sera la conséquence. La preuve que dans la guerre économique, il n'est pas toujours nécessaire d'être le plus connu pour être le plus dangereux.
Alors la prochaine fois que la frustration montera, ne l'étouffez pas. Ne la subissez plus.
Isolez-la. Regardez-la en face. Cette injustice qui vous obsède, ce concurrent moins bon qui récolte tous les lauriers... ce n'est pas un fardeau. C'est un carburant.
La vraie question n'est pas de savoir si cette situation est juste. La vraie question est : quand allez-vous enfin l'injecter dans le moteur ?
Le sursaut du leader est une condition nécessaire. Mais non suffisante. Après le "pourquoi" – la rage de vaincre – vient le "comment". L'architecture du changement d'échelle.
Comment industrialiser son excellence pour ne plus dépendre de contrats sur-mesure ?
C'est tout le défi qui se pose à Sylvie Jéhanno.

Votre actif le plus précieux est invendable ? La solution n'est pas de baisser le prix, mais de changer le modèle
À la tête de Dalkia, filiale stratégique d'EDF, Sylvie Jéhanno pilote un acteur majeur de la transition énergétique. Reconnue pour ses innovations locales comme la thalassothermie, l'entreprise fait face au défi de transformer cette excellence sur-mesure en un modèle de croissance industrielle à l'échelle nationale.
Le Challenge sur la Table
Le défi qui se pose à Sylvie Jéhanno est fondamental : il s'agit de transformer Dalkia pour le faire passer d'un statut d'opérateur de services énergétiques à celui d'un véritable industriel de la transition locale. La question est chirurgicale : comment "productiser" et scaler des solutions complexes et sur-mesure – comme la thalassothermie – qui sont à la fois dépendantes de la géographie, et qui exigent des investissements lourds, pour en faire un moteur de croissance rentable à l'échelle nationale ?
Pour y parvenir, il faut dépasser le stade des projets pilotes exemplaires afin de créer un modèle économique réplicable. Le tout, en devant naviguer une double contrainte : celle d'un actionnaire public, EDF, aux ambitions parfois divergentes, et celle des réalités d'un marché ultra-compétitif où chaque investissement doit être justifié.
C'est le paradoxe qui hante tout dirigeant d'une ETI innovante : comment industrialiser l'excellence sans la dénaturer ?
Face à ce mur, l'instinct est de chercher la brèche. Nous avons modélisé deux scénarios de rupture, deux leviers pour transformer cette contrainte en avantage décisif.
Levier 1 : Transformer l'Expertise en Actif Digital
Le Principe Stratégique
Quand le "hardware" (l'infrastructure physique) est trop complexe et coûteux pour être dupliqué à l'infini, la croissance se trouve dans le "software" (l'intelligence qui le pilote).
Le principe est de séparer le cerveau des muscles. On isole l'expertise de pilotage, on la transforme en un produit numérique standardisé, et on la vend comme un service à haute marge, indépendant de l'infrastructure physique qu'elle supervise.
L'Exemple d’Implémentation : Le Cerveau Énergétique Augmenté
Dalkia opère déjà des centres de pilotage à distance (DESC) qui sont de véritables tours de contrôle énergétiques. L'idée est de "productiser" cette intelligence.
Imaginez une offre par abonnement, "DESC Pro", destinée aux gestionnaires de parcs immobiliers ou aux PME industrielles.
Niveau 1 "Basic Analytics" : Le client ne navigue plus à l'aveugle. Il reçoit les instruments de bord pour visualiser et anticiper ses consommations.
Niveau 2 "Predictive AI" : L'IA de Dalkia ne se contente plus d'alerter. Elle prend les commandes. Elle ajuste en temps réel les boucles de chauffage et de climatisation pour garantir une performance optimale, avec un bonus financier pour le client si les objectifs de CO2 évités sont dépassés.
Le client n'achète plus de la maintenance. Il achète de la performance garantie par un algorithme.
La Leçon Transposable
Votre entreprise possède une expertise opérationnelle unique, aujourd'hui "noyée" dans vos contrats de service. Les questions sont : quel est ce savoir-faire invisible qui, une fois "productisé", pourrait devenir votre produit le plus rentable ? et Combien perdez-vous chaque jour en ne le vendant pas ?
Levier 2 : Transformer l'Actif Coûteux en Service Accessible
Le Principe Stratégique
Le principal frein à l'adoption d'une technologie de pointe n'est souvent pas son efficacité, mais le mur de l'investissement initial (le CAPEX).
Le principe est simple : si vos clients ne peuvent pas acheter votre meilleur produit, arrêtez d'essayer de le leur vendre. Louez-le. Vous transformez un obstacle infranchissable en un flux de revenus récurrents (OPEX) et vous accélérez drastiquement l'adoption.
L'Exemple d’Implémentation : La Décarbonation "As-a-Service"
Dalkia développe avec EDF des pompes à chaleur industrielles ultra-performantes mais très chères, comme le démonstrateur "Transpac". Pour une PME, un tel investissement est souvent hors de portée.
Le modèle "Transpac Leasing" changerait la donne. Dalkia installe et maintient l'équipement chez le client industriel. En échange, celui-ci ne paie pas la machine, mais un "loyer performance" mensuel. Ce loyer est calculé pour être inférieur aux économies réalisées sur sa facture de gaz, que la pompe à chaleur vient remplacer. Le gain est immédiat, sans risque, et sans mobiliser sa trésorerie. Dalkia, de son côté, déploie sa technologie, sécurise un revenu sur 10 ans et construit un parc d'actifs rentables.
La Leçon Transposable
Pensez à votre catalogue. Quel est l'équipement le plus performant – et le plus cher – que vos clients rêveraient d'utiliser s'ils n'avaient pas à l'acheter ?
La Question Qui Ouvre le Jeu
Le cas Dalkia illustre une leçon fondamentale pour tout dirigeant face à la pression de la croissance : lorsque votre excellence physique devient un frein à votre expansion, la solution est de la désolidariser. Séparez l'intelligence du matériel, et le financement de l'usage. Vous ne vendez plus un produit, mais sa performance.
La vraie question n'est plus de savoir comment vendre votre excellence, mais comment la libérer. Quel est le trésor, physique ou intellectuel, que vous gardez aujourd'hui prisonnier de votre propre business model ?
Au-delà du bruit : votre prochain virage brutal
Leçon de la semaine : la frustration est une information. Pas une fatalité. Vous pouvez la subir, comme ces sous-traitants qui attendent un ruissellement qui ne viendra jamais. Ou vous pouvez la transformer en carburant, comme ce PDG qui refuse de rester invisible et impose un virage stratégique radical.
Le premier attend que le monde change pour lui. Le second change les règles du jeu. La méthode existe. Elle consiste à bâtir sa propre souveraineté. C'est plus difficile. C'est plus long.
Mais c'est la seule voie. Si un autre leader de votre réseau doit l'entendre, lui transmettre cette analyse fait partie du jeu.
Eric
Les fondations des analyses
Les analyses présentées dans cette édition s'appuient sur les sources suivantes :
Dossier "Economie de guerre" : Enquête des Echos (09/10/2025), complétée par d'autres publications des Echos et de La Tribune.
Cas "Septeo" - L'analyse de la posture de Hugues Galambrun est une réflexion basée exclusivement sur les propos rapportés dans les sources publiques suivantes : Article des Echos (22/09/2025), corroboré par la presse spécialisée (RH Matin, Journal des Entreprises).
Cas "Dalkia" : Article des Echos (18/09/2025), complété par plusieurs articles récents de la presse spécialisée (News Tank Énergies, Echos).