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Dirigeants Augmentés : Le thermomètre et la boussole : possédez-vous les deux ?
Bonjour à tous,
Bienvenue dans cette nouvelle édition. Une fois par semaine, je partage ici mes réflexions sur la stratégie et le leadership, sans filtre.
En tant que dirigeant, votre ressource la plus rare n'est pas le temps.
C'est la clarté.
Chaque jour, vous affrontez deux fronts. Le premier est extérieur : le brouillard des marchés, le bruit des "experts", les signaux contradictoires qui rendent chaque décision complexe et chaque projection, fragile. C'est une bataille pour l'information juste.
Le second front est intérieur. C'est le dialogue permanent avec vos propres doutes, vos biais, vos peurs. Une bataille contre la distorsion de la réalité par votre propre perception. La plus difficile des deux.
Cette semaine, nous allons armer votre lucidité pour combattre sur ces deux fronts.
Nous allons d'abord apprendre à regarder le monde tel qu'il est.
Puis, nous verrons comment forger votre propre réalité.
Commençons par le dehors.

Piloter dans le brouillard : l'art de déceler les vrais signaux
Vous êtes submergé d’informations.
Chaque matin, c’est le même déluge : prévisions de croissance, indices de confiance, taux de chômage. Un bruit de fond constant qui vous laisse face à une question simple et brutale : "concrètement, qu’est-ce que ça change pour ma PME ?"
Pas grand-chose.
Ces indicateurs macro-économiques sont des rétroviseurs. Ils décrivent un passé déjà révolu et moyennent des réalités si diverses qu’elles en deviennent abstraites. Pour un dirigeant industriel, savoir que le PIB a grappillé 0,1% est aussi utile qu’un bulletin météo de la semaine dernière.
L'incertitude, la vraie, se niche ailleurs. Pas dans les rapports officiels, mais dans les chuchotements du réel.
1. Le pouls de la consommation
En période de crise, les consommateurs ne coupent pas tout. Ils arbitrent.
Leonard Lauder, l'héritier de l'empire cosmétique Estée Lauder, l'avait théorisé avec son célèbre "Lipstick Index". Son postulat : face à l'incertitude, les femmes délaissent les achats coûteux (sacs, robes) mais s'autorisent un micro-luxe, comme un rouge à lèvres haut de gamme. Un plaisir accessible pour se remonter le moral. L'an dernier, aux États-Unis, les ventes de ces produits ont bondi de 19%.
À l'inverse, d'autres achats, même modestes, sont sacrifiés. Le "Snack Index" en est une parfaite illustration. Les grands noms de l'agro-alimentaire – Mondelēz, PepsiCo, General Mills – constatent tous un ralentissement. Les consommateurs privilégient les produits de première nécessité. Fini les petites douceurs superflues.
Ces deux signaux, pris ensemble, dessinent une anxiété palpable. Une envie de réconfort à bas coût, couplée à une rationalisation des dépenses non essentielles.
2. La dissonance industrielle
Maintenant, regardons chez vous. Dans l'industrie.
Fastenal, l'un des plus grands distributeurs américains de fournitures industrielles, est un baromètre fascinant. Ses ventes de fixations – écrous, vis, boulons – sont un indicateur précurseur de l'activité manufacturière. Si les usines tournent, elles consomment des fixations. Si elles ralentissent, les commandes chutent.
Après 7 trimestres de baisse, les ventes de Fastenal ont connu leur première hausse. Certes, modeste (+1,1%), mais une hausse quand même.
Voilà la dissonance.
D'un côté, une consommation nerveuse qui se réfugie dans des plaisirs symboliques et coupe le superflu. De l'autre, une industrie qui semble frémir, même timidement. Ajoutez à cela un autre indicateur, celui des boîtes en carton, qui pointe vers une "récession du carton" avec des baisses de demande similaires à celles des précédentes crises mondiales.
Le tableau est tout sauf clair. Il est complexe. Contradictoire.
3. Votre propre tableau de bord
Alors, que faire ?
Arrêtez de chercher une réponse unique dans les chiffres des autres. Le brouillard ne se dissipera pas grâce à une statistique nationale. La clarté viendra de votre capacité à identifier VOS propres signaux faibles.
Ceux qui comptent pour votre secteur, votre marché, vos clients.
Quel est le "rouge à lèvres" de votre industrie ? Ce petit service, cette option non essentielle que vos clients continuent de s'offrir car elle est un marqueur de statut ou de réconfort ?
Quel est le "boulon" de votre écosystème ? Cet achat indispensable, ce composant discret dont la variation des commandes annonce les tendances de fond de vos clients six mois à l'avance ?
La véritable intelligence stratégique n'est pas de consommer plus d'informations.
C'est de savoir lesquelles ignorer.
C'est de construire son propre tableau de bord, avec des indicateurs décalés, parfois triviaux, mais infiniment plus pertinents pour votre réalité.
Vous savez désormais où regarder.
Au-delà des grands titres et des indicateurs officiels, vous avez appris à écouter les murmures de l'économie réelle. Les ventes de rouges à lèvres, les commandes de boulons... Vous avez les clés pour construire un thermomètre plus fin, plus pertinent pour votre propre business.
Mais à quoi bon lire la bonne température, si le pilote de l'avion est persuadé qu'il fait -20°C dehors alors que le soleil brille ?
Avoir la bonne information est une chose. L'utiliser sans la déformer par le filtre de ses propres angoisses en est une autre. La plus grande menace pour une stratégie n'est pas un concurrent invisible.
C'est l'angle mort dans le regard du chef.
C'est précisément l'objet de notre deuxième partie.

Faits vs Conviction : l'arme mentale des vrais leaders
La solitude du dirigeant n'est pas un mythe. C'est ce dialogue interne, incessant, au moment de prendre une décision difficile. C'est le doute qui s'installe quand la pression monte. C'est la crainte de se tromper, de paraître faible, de céder à une émotion ou à une perception biaisée.
Le stress chronique et la charge mentale ne sont pas des ennemis à combattre avec des techniques de relaxation. Ce sont des données d'entrée. Le véritable enjeu est de ne pas les laisser polluer votre lucidité.
Pour y parvenir, il faut maîtriser une distinction fondamentale, un outil mental d'une puissance redoutable.
La distinction entre les faits et votre conviction.
Le piège de la perception
Pour la plupart des gens, un fait et une vérité sont interchangeables.
C'est une erreur.
Un fait, c'est la réalité brute, objective. Votre chiffre d'affaires du dernier trimestre est un fait. Le nombre de concurrents sur votre marché est un fait.
Une vérité, c'est votre perception de cette réalité. C'est le filtre de vos émotions, de vos peurs, de vos espoirs.
Considérer une dépense comme un coût ou un investissement n'est pas une question de fait, mais de perception. L'un est une charge, l'autre une promesse d'avenir. Les deux sont des "vérités" subjectives.
Le problème ? La plupart des décisions, même au plus haut niveau, sont prises sur la base de ces "vérités" personnelles, souvent déformées, plutôt que sur des faits. On ne décide pas sur la base de la réalité, mais sur la base de l'histoire qu'on se raconte à propos de la réalité.
Et c'est là que réside le plus grand risque pour un leader : devenir le prisonnier de sa propre perception.
La décision, un acte factuel
La première discipline d'un dirigeant est donc de nettoyer son processus de décision de toute scorie émotionnelle.
Face à un choix stratégique, la question n'est pas "Qu'est-ce que je ressens ?" mais "Quels sont les faits ?". Froidement. Implacablement.
Cette dissociation est contre-intuitive. Elle demande un effort conscient pour écarter la peur, l'optimisme béat ou le poids des expériences passées. C'est un acte de pure lucidité.
Prendre des décisions sur la base de faits établis est le seul moyen de naviguer sereinement dans l'incertitude. Les faits sont votre ancre dans la tempête. Le reste n'est que littérature.
Mais ce n'est que la première étape. Car si les faits servent à décider, la conviction sert à agir.
La conviction, un moteur de création
Voici le second niveau, celui où le leader devient architecte de sa réalité.
Votre cerveau a deux grands systèmes : le conscient et le subconscient. Votre conscient, le pilote, fonctionne avec les faits. Il sait distinguer le réel de l'imaginé.
Votre subconscient, le pilote automatique, est plus rustique. Il ne fait pas la différence entre un fait avéré et une conviction puissamment affirmée. Pour lui, une "vérité" répétée avec intensité devient la réalité.
Les leaders d'exception utilisent cette mécanique. Ils se programment. Ils ancrent leur vision, leurs objectifs, leurs ambitions non pas comme des possibilités, mais comme des "vérités" dans leur subconscient.
Le conscient sait que ce n'est pas encore un fait. Le subconscient, lui, y croit déjà.
Cette situation crée une tension interne immense, une "dissonance cognitive". Le cerveau déteste la contradiction. Pour résoudre cette tension, il n'a qu'une seule option : mobiliser toutes ses ressources pour que la conviction (la "vérité" interne) devienne une réalité (un "fait" externe).
Il va aligner vos comportements, affûter votre attention, décupler votre énergie pour transformer la vision en matière.
Ce n'est pas une méthode "positive". C'est de l'ingénierie mentale.
Vous utilisez les faits pour ne pas vous mentir. Et vous utilisez la conviction pour construire ce qui n'existe pas encore. C'est tout le paradoxe du leadership.
Du thermomètre à la boussole
Le monde vous donne des briques : les faits. Brutes, froides, indiscutables.
Le premier article vous a montré où trouver les meilleures briques, celles que les autres ignorent, cachées dans les habitudes de consommation ou les carnets de commandes industriels. Un véritable thermomètre pour mesurer la température du réel.
Le second article vous a donné le plan de l'architecte : votre conviction. Cette force mentale capable de transformer une vision en une réalité tangible, en créant une tension créatrice dans votre propre esprit. Votre boussole interne.
Mais une fois que vous avez le thermomètre et la boussole, la question demeure : comment s'assurer que vos équipes construisent efficacement ? Que vos investissements en outils et en technologie ne sont pas que des briques de plus, coûteuses et mal assemblées ? Comment éviter le piège des innovations qui perturbent plus qu'elles ne produisent ?
Cela devrait être le cœur de notre prochaine édition.
Le défi est lancé : devenez cet architecte lucide. Et invitez un autre leader à le devenir avec vous en lui transférant cet email.
Eric