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Dirigeants Augmentés : Mistral AI, Delbert, KNDS : la vraie partie qui se joue derrière l'actualité
Bonjour à tous,
Cette semaine, nous entrons dans trois arènes où se joue votre lucidité.
Celle de la Hype Technologique, où il faut déconstruire le mythe Mistral AI pour en extraire une leçon stratégique. Celle du Piège Systémique, où le DG des Laboratoires Delbert se retrouve seul face à l'État, pris en étau entre la vie de ses patients et la survie de son entreprise. Et celle de la Friction Interne, où le géant KNDS doit transformer une décennie de querelles intestines en une machine de guerre crédible pour les marchés.
Trois fronts, trois batailles, mais un seul ennemi : l'angle mort. Ce point aveugle que la crise, la pression ou la complexité créent dans votre propre vision. Car le plus grand risque n'est jamais la situation elle-même, mais la faille qu'elle révèle dans votre pilotage.
Si cette édition vous interpelle, partagez-la avec un pair confronté aux mêmes défis.

Mistral AI : La leçon de stratégie que personne ne vous donne
Le bruit est assourdissant.
Mistral AI. La décacorne française. Le champion européen. Le contrepoids à OpenAI.
Chaque matin, la presse économique vous sert la même histoire. Simple, séduisante, presque héroïque. Et avec elle, une pression implicite : ne pas rater "le virage de l'IA". L'incertitude technologique est l'une des plus anxiogènes pour un dirigeant. Prendre la mauvaise décision, ou pire, ne pas en prendre, peut coûter cher.
Le problème ? Cette narration est un écran de fumée.
Elle masque une réalité stratégique bien plus subtile et, surtout, bien plus utile pour vous. Ma mission aujourd'hui n'est pas de vous résumer ce que vous avez déjà lu. C'est de déconstruire le mythe pour en extraire des leçons brutes, directement applicables à votre réalité de patron de PME ou d'ETI.
Car ce que révèle l'histoire de Mistral, ce n'est pas tant l'avenir de l'IA que l'avenir des services B2B à haute valeur ajoutée.
1. Le mirage du "champion" : déconstruire le récit médiatique
Soyons directs : l'idée que Mistral est un concurrent frontal de ChatGPT pour le grand public est une fiction politique. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le chatbot "Le Chat" n'est utilisé que par 6% des Français, contre 75% pour son rival américain. C'est un non-match.
La force de Mistral n'est pas là. Son terrain de jeu est le B2B. Et plus précisément, les grands comptes et les organisations pour qui la souveraineté des données n'est pas une option, mais une obligation. L'État français, la Défense, les géants du CAC40. Pour eux, Mistral n'est pas un choix, c'est une nécessité stratégique.
La première leçon est simple : méfiez-vous des récits trop beaux. La hype médiatique est souvent déconnectée de la traction réelle du marché. Pour un dirigeant, distinguer le signal du bruit n'est pas un luxe, c'est une compétence de survie.
2. Le véritable modèle : des commandos d'ingénieurs, pas un logiciel
C'est ici que se trouve le cœur de la stratégie Mistral, l'insight que vous ne lirez nulle part ailleurs.
Vous pensez acheter un accès à un logiciel, un modèle sur étagère ? Erreur. Quand CMA CGM signe un contrat pour 100 millions d'euros, l'entreprise n'achète pas une licence. Elle s'offre les services d'une unité d'élite. Des commandos d'ingénieurs IT qui s'installent sur site, codent avec les équipes internes et co-développent des solutions sur-mesure.
Mistral ne vend pas un produit. Il vend de l'expertise humaine de très haute intensité, packagée sous une bannière technologique. C'est un cabinet de conseil stratégique et technique déguisé en startup de l'IA.
Pour vous, dirigeant, cette distinction est fondamentale. Elle explique pourquoi cette solution est, pour l'instant, hors de portée. Ce n'est pas une offre "plug and play" pensée pour une PME.
C'est une offre "haute couture" pour des entreprises qui ont les moyens de se payer le luxe d'une R&D externalisée de classe mondiale. La vraie valeur n'est pas dans l'algorithme, elle est dans l'accès aux cerveaux qui l'ont créé.
3. L'IA devient une commodité. Votre agilité est la clé
Pendant que la presse s'enflamme pour la guerre des "champions", les entreprises matures jouent une tout autre partition. Elles ne misent pas tout sur un seul cheval.
TotalEnergies, par exemple, utilise Mistral pour ses données les plus sensibles, mais a déployé 30.000 licences Microsoft Copilot pour la bureautique de ses collaborateurs. D'autres, comme AXA, ont des plateformes internes qui permettent de choisir le meilleur modèle (OpenAI, Mistral, Gemini) en fonction de la tâche à accomplir.
Le message est limpide : les modèles d'IA deviennent des commodités. Des ressources interchangeables.
La véritable intelligence n'est plus de choisir le "meilleur" modèle, mais de construire une architecture interne agile, capable de brancher et débrancher différentes solutions selon les besoins. C'est un changement de paradigme complet. Votre avantage concurrentiel ne viendra pas de l'outil, mais de votre capacité à l'orchestrer intelligemment. Ne cherchez pas le marteau en or : construisez la bonne boîte à outils.
4. L'angle mort : pourquoi cette guerre n'est pas la vôtre
Les articles le confirment en filigrane : "Les PME comme les start-up ne sont pas légion parmi ses clients". Un investisseur avoue même que dans les tests comparatifs, les modèles de Mistral "sont souvent les premiers à être écartés" pour des tâches génériques.
La raison est une conséquence logique de tout ce qui précède. Le modèle des "commandos embarqués" est structurellement trop cher pour votre PME. Pour des besoins classiques, les solutions américaines existantes sont souvent plus performantes, moins chères et déjà adoptées par vos équipes.
Tenter de "faire du Mistral" aujourd'hui serait une distraction stratégique. Une perte de temps et de ressources. Votre rôle n'est pas de tester les dernières technologies à la mode, mais d'obtenir un retour sur investissement rapide et mesurable.
L'histoire de Mistral est une leçon magistrale. Non pas sur la technologie, mais sur la stratégie. Elle vous apprend à lire entre les lignes. À comprendre que le modèle économique prime sur le produit. Et surtout, à vous concentrer sur votre véritable actif : non pas l'outil que vous choisissez, mais l'agilité avec laquelle vous l'intégrez à votre chaîne de valeur.
La véritable question n'est donc pas "Dois-je choisir Mistral ou OpenAI ?".
Mais : "Mon organisation est-elle seulement câblée pour l'agilité ?"
Observer la hype est un exercice de stratège sur une carte d'état-major. Mais que se passe-t-il quand on quitte la carte pour la ligne de front ? Quand la pression n'est plus une analyse distante, mais un téléphone qui sonne 250 fois par jour avec, au bout du fil, le désespoir ?
On quitte l'arène de la tech pour entrer dans le cauchemar d'un dirigeant que le système empêche de faire son travail : sauver des vies.

Le piège du monopole : quand votre produit-phare devient votre prison
Un monopole est une position de force. C'est ce que l'on croit, jusqu'au jour où il devient un piège parfait. Pour Thierry Hoffmann, dirigeant des Laboratoires Delbert, ce piège a un nom : le Téralithe.
À la tête des Laboratoires Delbert, Hoffmann est l'unique fabricant en France du Téralithe, un médicament vital pour les troubles bipolaires. Mais quand une pénurie sur d'autres molécules provoque une explosion de la demande, sa position se transforme en étau. Le voilà pris entre le désespoir des patients – 250 appels par jour – et un blocage de l'État sur les prix qui l'empêche d'importer sans vendre à perte.
Son histoire n'est pas celle d'une crise de supply chain. C'est l'histoire universelle d'un dirigeant seul dans la salle des machines, tentant de maintenir le cap quand la structure même du navire se disloque.
L'enfer de la responsabilité sans le pouvoir
Le vrai poids d'une crise ne se mesure pas en unités manquantes. Il se mesure en appels de détresse. Imaginez : votre téléphone sonne 250 fois par jour. À l'autre bout du fil, des patients paniqués, des familles angoissées qui dépendent de vous pour leur équilibre mental. Vous êtes leur seul espoir. Et vous ne pouvez rien faire.
C'est ça, le "cauchemar" de Thierry Hoffmann. Ce n'est pas un problème de gestion, c'est un test de résistance humaine. Son entreprise a beau tourner à plein régime, augmenter sa production de 70.000 à 100.000 boîtes, la demande est telle que même le double ne suffirait pas. Il est le visage d'une solution qu'il ne peut pas fournir.
Cette situation est l'incarnation de la solitude du dirigeant. Vous êtes seul à porter la responsabilité d'une défaillance qui n'est pas la vôtre, mais celle de tout un système : un concurrent qui fait défaut, des prix administrés déconnectés de la réalité du marché mondial, une inertie réglementaire.
Vous êtes au front, mais vos munitions sont contrôlées par d'autres. Pour un leader, il n'y a pas de situation plus inconfortable. La vraie bataille n'est pas logistique, elle est psychologique : comment maintenir sa conviction quand on est le paratonnerre de toutes les angoisses et de toutes les frustrations ?
Le courage de se battre sans levier
Quand on est seul face à l'État, la tentation est de subir. De se plaindre en silence. Surtout quand une première demande de bon sens – réévaluer un prix pour pouvoir importer et sauver des vies – a déjà été refusée en juillet. C'est pourtant là que le leadership se mesure. Pas dans les grandes envolées stratégiques, mais dans la capacité à retourner négocier quand on n'a aucune carte en main.
La position de Hoffmann est paradoxale. Il est en monopole, mais il est faible. Chaque boîte importée pour soulager la pénurie lui coûte entre 5 et 10 euros. Il demande à l'État non pas de maximiser son profit, mais de lui permettre de ne pas couler en rendant service à la santé publique.
Ce n'est plus une négociation commerciale, c'est un bras de fer éthique. Son combat devient celui de milliers de PME face aux grands donneurs d'ordre, publics ou privés : celui de la logique du terrain contre la rigidité des appareils administratifs. Ce courage de l'obstination, quand tout pousse à l'abandon, est la marque d'un dirigeant qui ne se voit pas comme une victime du système, mais comme un acteur responsable, jusqu'au bout.
La victoire qui cache la défaite de demain
Mi-septembre, la nouvelle tombe : un accord est trouvé avec le CEPS (Comité économique des produits de santé). Le prix du Téralithe est revalorisé, les importations peuvent commencer. Victoire ? En apparence, oui. Thierry Hoffmann a gagné. Il a obtenu un sursis pour ses patients et son entreprise.
Mais la vraie lucidité d'un stratège est de savoir reconnaître une rustine quand il en voit une. L'accord est temporaire. Il est conditionné à la durée de la crise. Il ne résout en rien le problème de fond : le prix structurellement trop bas des médicaments matures en France, qui rend le pays vulnérable à la moindre secousse sur la chaîne d'approvisionnement mondiale.
La victoire d'aujourd'hui est la garantie de la crise de demain. Avoir "gagné" sur le court terme endort la nécessité de transformer le modèle sur le long terme. Le plus grand risque pour un dirigeant, après avoir survécu à un "cauchemar", c'est de croire que le réveil est définitif. C'est de relâcher la pression, de se contenter du sursis, et d'attendre passivement le prochain effet domino qui ne manquera pas d'arriver.
Cette crise a exposé une vulnérabilité stratégique majeure. La transformer en avantage durable demande de ne pas seulement être un bon gestionnaire de crise, mais un architecte. Un dirigeant capable d'utiliser l'électrochoc pour imposer une nouvelle façon de penser la souveraineté, le risque et la valeur.
Car on ne gagne pas la guerre contre le feu en éteignant un incendie, mais en bâtissant la caserne qui anticipera le prochain.
Et vous, quel est le "Téralithe" de votre entreprise ? Ce point de friction où une victoire tactique vous empêche de voir la guerre stratégique que vous devez mener ?
Thierry Hoffmann s'est battu contre un ennemi extérieur, un système qui le paralysait. Une guerre de survie menée dans l'urgence.
Mais l'adversaire le plus redoutable est souvent intérieur. Que faire quand la friction n'est plus une crise, mais la structure même de votre organisation ? Quand on vous demande non plus de survivre, mais de forger un champion à partir d'une machine grippée par une décennie de querelles internes ? On passe de la gestion de crise à l'architecture d'une transformation.

À la tête du géant de la défense KNDS, Jean-Paul Alary est face à une mission à "balles réelles" : préparer le groupe pour une introduction en Bourse en 2026. Dans son viseur, un rival qui ne pardonne rien : l'allemand Rheinmetall.
Pour l'emporter, Alary doit résoudre l'équation impossible qui paralyse son groupe. D'un côté, la pression des marchés qui exigent agilité, lisibilité et performance. De l'autre, la réalité d'une intégration franco-allemande à l'arrêt. Le bilan est sans appel : dix ans de collaboration pour zéro projet commun. Des programmes stratégiques vitaux, comme le char du futur (MGCS), sont embourbés dans les lourdeurs bureaucratiques.
Le défi est là, dans cette contradiction fondamentale. Alary doit prouver que KNDS est plus que la somme de ses parties nationales. Il doit transformer ce géant aux pieds d'argile en une machine de guerre industrielle et financière crédible.
Face à un tel mur, la tentation est de colmater les brèches. Mais la vraie stratégie est ailleurs. Elle consiste à utiliser la contrainte comme un levier. Voici deux stratégies qui pourraient transformer cette faiblesse structurelle en avantage décisif.
Levier 1 : vendre la dépendance, pas le produit
Le Principe Stratégique
Le modèle industriel classique est mort. Vendre un équipement une seule fois est une relique du passé, surtout quand le coût du cycle de vie dépasse de loin le prix d'achat. La véritable valeur ne réside plus dans la transaction, mais dans la garantie de la performance sur la durée. En vendant non plus un produit, mais un résultat – la disponibilité opérationnelle – une entreprise aligne ses intérêts sur ceux de son client et devient un partenaire indispensable, et non plus un simple fournisseur.
L'Exemple d’Implémentation : le contrat "disponibilité totale"
Imaginez que KNDS ne vende plus de chars, mais des "heures de mission garanties". Via un contrat de service à long terme, l'entreprise s'engagerait à maintenir une flotte entière en condition opérationnelle 24/7. Le client ne paie plus pour la possession d'un actif, mais pour son usage et sa fiabilité. Ce modèle forcerait KNDS à résoudre sa propre "contradiction fondamentale" : pour garantir un tel niveau de service, les équipes françaises et allemandes devraient obligatoirement mutualiser leurs stocks de pièces, harmoniser leurs procédures et créer des équipes de support conjointes. L'intégration ne serait plus un objectif politique, mais une nécessité opérationnelle.
La Leçon Transposable
Cette approche transforme un centre de coût (la maintenance) en un centre de profit à revenus récurrents, ce qui est extrêmement valorisé par les marchés financiers. Et vous, quel produit pourriez-vous transformer en un service à la performance, créant une relation client indéfectible et une nouvelle source de revenus prévisibles ?
Levier 2 : armer la donnée pour monétiser l'invisible
Le Principe Stratégique
Dans l'économie moderne, la valeur d'un actif physique est de plus en plus éclipsée par la valeur des données qu'il génère. Pour un industriel, cela représente une opportunité de pivoter d'un modèle à faible marge vers des services numériques à forte valeur ajoutée. Il ne s'agit plus de vendre de l'acier, mais de l'intelligence. Ce pivot démontre une capacité d'innovation qui rassure les investisseurs sur la pérennité du modèle face aux disruptions technologiques.
L'Exemple d’Implémentation : l'arsenal virtuel
KNDS pourrait développer une offre de "jumeau numérique" pour chaque flotte vendue. Cette réplique virtuelle, alimentée en temps réel par les données des milliers de capteurs embarqués sur les véhicules, deviendrait une plateforme de services premium. Les clients pourraient y simuler des scénarios de mission, former leurs équipages en réalité virtuelle, et surtout, bénéficier d'une maintenance prédictive qui anticipe les pannes avant qu'elles ne surviennent. Cette plateforme, produit commun par excellence, serait la preuve tangible de la crédibilité technologique du groupe unifié.
La Leçon Transposable
La monétisation des données n'est pas l'apanage des géants de la tech. C'est un levier de différenciation décisif pour toute entreprise industrielle. Et vous, quelle donnée brute générée par vos opérations ou vos produits pourriez-vous transformer en un service premium pour vos clients ?
La Question Qui Ouvre le Jeu
Le cas KNDS montre qu'une friction interne, qu'elle soit culturelle, politique ou opérationnelle, peut devenir le plus grand catalyseur d'innovation. Elle force une entreprise à se réinventer non pas en dépit de ses faiblesses, mais grâce à elles.
La question n'est plus de savoir si une entreprise peut surmonter ses contradictions. Mais comment elle peut les armer pour en faire son plus grand atout stratégique.
Et vous, quelle est cette faille dans votre organisation que vous refusez de voir... alors qu'elle est votre prochaine arme ?
Analyser Mistral, Delbert ou KNDS, c'est facile. Être Thierry Hoffmann quand le téléphone sonne pour la 200ème fois, ou Jean-Paul Alary quand il faut aligner deux cultures que tout oppose, est une autre histoire. Le point commun de ces trois histoires, c'est le poids de la décision. Ce moment où, malgré le bruit et la pression, il faut trancher. Et assumer. Seul.
C'est le prix de vos fonctions.
La semaine prochaine, nous devrions justement parler du prix de la conviction. Que faites-vous quand l'opportunité d'une vie se présente, mais qu'elle menace de vous faire dévier de votre trajectoire ? Comment une startup du New Space a-t-elle eu le cran de dire "non" à un contrat qui semblait être sa seule porte de sortie ?
Vous pensez connaître la réponse ? Je vous garantis que non.
Si cette édition vous a été utile, ne la gardez pas pour vous. Transférez cet email à un dirigeant qui a besoin d'une dose de lucidité.
Eric
Comment transformer votre plus grande faiblesse en arme stratégique : le cas KNDS