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Dirigeants Augmentés : Stellantis choisit sa guerre, Cityz Media assume sa victoire, STIF dompte le chaos

Bonjour à tous,

Ces analyses sont conçues pour aiguiser votre regard. Si vous les jugez pertinentes, le geste le plus simple est de les transférer à un pair.

Cette édition se déploie comme un arc en trois actes qui suit le parcours de tout conquérant.

D'abord, le courage de la décision la plus brutale : choisir sa guerre. Ensuite, la force mentale pour affronter la conséquence inattendue de la victoire : la solitude du sommet. Enfin, l'intelligence structurelle pour piloter l'étape la plus périlleuse : la maîtrise du chaos.

Trop de dirigeants excellent dans un de ces actes, mais échouent à orchestrer les trois. C'est précisément là que la croissance s'enraye. Et que les positions dominantes s'érodent.

Le premier acte est toujours le plus fondamental : le choix.

Stellantis aux USA : pourquoi le courage paie toujours plus que le consensus

On parle beaucoup d'agilité, de résilience, de transformation... Des mots-valises qui finissent par ne plus rien vouloir dire, galvaudés dans des PowerPoints sans âme.

Et puis, il y a les actes. Ceux qui pèsent des milliards. Ceux qui, d'un seul coup, redéfinissent les règles du jeu.

L'annonce de Stellantis d'investir 13 milliards de dollars aux États-Unis n'est pas une simple dépense. C'est un cours de stratégie magistral. Une leçon de lucidité pour tout dirigeant qui navigue aujourd'hui dans le brouillard de l'incertitude.

Ce n'est pas une histoire de voitures. C'est une histoire de choix. Et de survie.

1. Diagnostiquer la maladie : l'Europe comme "piège à complexité"

Regardons les faits.

D'un côté, l'Europe. Un marché mature, à la croissance anémique, mais surtout un bourbier réglementaire. Interdiction du thermique en 2035, normes CO2 de plus en plus punitives... L'environnement force la main des constructeurs historiques à un pivot vers le véhicule électrique. Un segment aux marges faibles, où la concurrence chinoise, subventionnée et agressive, a déjà une longueur d'avance.

Pour un CEO, c'est le pire des scénarios. Un environnement où les règles changent constamment, où la rentabilité est structurellement menacée et où de nouveaux entrants, plus agiles et moins contraints, peuvent vous mettre hors-jeu. C'est la définition même de la vulnérabilité stratégique.

Vous passez plus de temps à vous conformer qu'à conquérir. Vous subissez le jeu au lieu de le dicter. Pendant ce temps, aux États-Unis, le signal est radicalement différent. L'administration allège les contraintes écologiques. Le marché plébiscite les gros moteurs V8 massivement profitables. Et surtout, le pouvoir politique dresse des barrières douanières de 25% qui verrouillent le marché intérieur.

Clarté contre complexité. Rentabilité contre incertitude. Le choix, pour Stellantis, n'en était plus un.

2. Le courage de l'amputation : briser l'inertie

La décision la plus difficile pour un dirigeant n'est pas d'investir. C'est de désinvestir. D'admettre qu'une stratégie, même si elle a fonctionné par le passé, est devenue une impasse.

Carlos Tavares avait misé sur le "pricing power", la montée en gamme pour maximiser les marges. Une stratégie qui a connu un "accident historique" en Amérique du Nord, avec une marge devenue négative (-3,4% au premier semestre 2025). L'inertie aurait voulu qu'on "corrige le tir", qu'on "ajuste le modèle". Le fameux syndrome de la décision lente et frileuse, paralysée par l'ego et la peur de l'échec.

Le nouveau management a fait l'inverse. Un pivot radical. Une rupture. Baisse des prix, réparation des liens avec les concessionnaires, et même le retour du moteur V8. C'est l'antithèse du consensus. C'est l'acte d'un leader qui regarde la réalité en face et qui prend la seule décision qui compte : celle qui aligne l'entreprise avec son marché le plus profitable.

La question que chaque CEO doit se poser n'est pas : "comment améliorer ma position sur mon terrain de jeu actuel ?". La vraie question est : "mon terrain de jeu est-il encore le bon ?"

3. Bâtir la forteresse : choisir son champ de bataille

Ce que Stellantis achète pour 13 milliards, ce n'est pas juste des usines. C'est une marge de sécurité géopolitique. En devenant un producteur ultra-local, le groupe transforme une menace (le protectionnisme américain) en un rempart infranchissable pour ses concurrents. Il choisit de se battre sur un territoire où il bénéficie d'un avantage structurel, protégé par le pouvoir politique et porté par une demande client alignée sur ses produits les plus rentables.

Il ne s'agit plus de subir la complexité mondiale, mais de l'exploiter à son avantage. C'est une décision qui déplace le centre de gravité du groupe, qui arbitre froidement entre un avenir européen incertain et un présent américain massivement profitable.

Pour vous, dirigeant de PME ou d'ETI, la leçon est la même, à votre échelle. Où se trouve votre "Amérique" ? Quelle est la niche, le marché, le segment de clientèle où les règles du jeu vous sont favorables, où votre rentabilité est structurellement supérieure et où la concurrence est moins féroce ?

Trop de leaders s'épuisent à vouloir gagner sur tous les fronts, à se battre sur des marchés où ils sont structurellement désavantagés. La lucidité, c'est d'avoir le courage de concentrer ses forces là où chaque euro investi produit le plus de valeur. C'est oser abandonner les mauvais combats pour gagner la guerre.

Stellantis n'a pas cherché à prédire l'avenir. Le groupe a froidement choisi le plus profitable et a mis 13 milliards de dollars sur la table pour le conquérir.

La décision stratégique est prise. Le pivot est fait. Mais que se passe-t-il le lendemain de la victoire ? La pression change de nature. Le chasseur devient la cible. L’euphorie cède la place à la solitude du sommet. C'est le terrain de jeu de Didier Quillot. Son histoire est le deuxième acte de notre triptyque.

Vous avez gagné. Félicitations. Le plus dur commence.

On pense souvent qu'une grande victoire est une apothéose. Une erreur. C'est une bascule. Un changement de paradigme. La jubilation de la conquête s'efface en quelques heures. Elle laisse place à une pression d'une nature nouvelle, plus insidieuse : celle de l'exécution.

Prenez Didier Quillot. Il reprend un Clear Channel France en perte de vitesse. Le rebaptise Cityz Media. Et réalise l'impensable : arracher à Metrobus (JCDecaux/Publicis) le contrat des bus de la RATP, brisant ainsi un monopole historique de 76 ans.

C'est l'aboutissement tactique d'une stratégie de "reconquête" entamée deux ans plus tôt. Mais derrière les chiffres – 15 millions d'euros de chiffre d'affaires additionnel, 13.800 faces publicitaires – se cache le vrai défi.

Le chasseur est devenu la cible.

Anatomie d'une conquête

Le contexte : un retournement spectaculaire. En 2023, Didier Quillot mène le rachat de Clear Channel France, alors en perte de vitesse, et en devient l'actionnaire de référence. En moins de deux ans, il redresse la barre, ramenant l'entreprise à la profitabilité pour la première fois en cinq ans et la rebaptise Cityz Media. Cette reconquête n'est pas un hasard. Bien avant le coup d'éclat de la RATP, il était déjà à l'offensive, lançant des offres innovantes et remportant des contrats significatifs, comme celui de Toulon.

La victoire parisienne est donc l'aboutissement d'une manœuvre de longue haleine contre des géants qui dominent encore 51% du marché global. Mais ce contrat est un monstre opérationnel. Son exécution s'étalera sur plus d'un an, nécessitant la création d'une usine et l'embauche de 50 personnes. Le tout, sous le regard de rivaux puissants qui n'attendent qu'un faux pas.

La leçon universelle : Gérer le "syndrome du sommet"

L'histoire de Cityz Media n'est pas une simple anecdote sur le marché publicitaire. C'est une leçon magistrale sur le danger des grandes victoires, une leçon en trois actes que chaque dirigeant devrait méditer.

1. Le vertige du pic : quand le prédateur devient la proie.

Gagner contre un monopole n'est pas une fin. C'est le début des emmerdes. Vous quittez le confort de l'ombre pour la lumière crue du sommet. Chaque mouvement est scruté. Chaque retard, chaque erreur d'exécution devient une arme pour vos concurrents. La pression change de nature. Ce n'est plus l'adrénaline de la chasse, c'est l'angoisse de la défense.

Pour Quillot, le risque est clair : que cette victoire historique devienne un "sommet dangereux". Que l'énergie dépensée à exécuter ce contrat complexe l'empêche de préparer les "nouvelles batailles" qui s'annoncent déjà pour les autres lots de transport.

La solitude du dirigeant est maximale à ce moment précis. Vous avez porté la vision, mené l'assaut, et maintenant, tous les regards sont tournés vers vous, attendant la confirmation. Ou la chute.

2. L'industrialisation de la guérilla : le piège de la croissance.

Il a gagné en adoptant la stratégie du guerillero face à un empire : plus malin, plus rapide, plus audacieux. Le problème ? Il doit maintenant gérer une machine industrielle. On ne gère pas une usine de 50 personnes avec une mentalité de commando. Le défi est de conserver l'ADN du chasseur – la vitesse, l'innovation, l'esprit de "reconquête" – tout en bâtissant les process, la structure et la rigueur d'un leader.

C'est un paradoxe qui hante toute PME en hyper-croissance. Comment passer à l'échelle sans perdre son âme ? Comment industrialiser l'excellence sans la dénaturer ? La plupart échouent. Ils se laissent déborder par la complexité, remplacent l'agilité par la bureaucratie, et deviennent exactement ce qu'ils ont combattu : lents, prévisibles. Vulnérables.

3. La paix se gagne avant la fin de la guerre.

Ce contrat n'est pas un coup de chance. Il est le fruit d'une obsession de deux ans. Dès octobre 2024, Quillot était déjà en pleine offensive, restructurant ses offres, adoptant une nouvelle signature, préparant le terrain. Il n'attendait pas le résultat de l'appel d'offres pour affûter ses armes. Il a créé les conditions de la victoire.

C'est la leçon la plus brutale. Le succès ne se célèbre pas. Il s'anticipe. La véritable force d'un stratège n'est pas sa capacité à gagner une bataille, mais sa lucidité à utiliser cette victoire comme un simple pion dans la guerre suivante. Quillot le sait. Il parle déjà des prochains lots, des futures conquêtes. Il n'est pas au sommet. Il est au camp de base du prochain sommet.

La question n'est donc pas de savoir comment vous allez gagner votre prochaine grande bataille. La question est : qu'avez-vous déjà mis en place pour survivre à la victoire ?

La victoire isole. Elle met sous pression. Mais que se passe-t-il quand le succès n'est plus un événement, mais un processus ? Le véritable ennemi n'est plus l'adversaire, mais le chaos généré par votre propre croissance. C'est la guerre que mène José Burgos chez STIF. Le dernier acte, et sans doute le plus complexe.

STIF : Peut-on mourir d'hyper-croissance ?

STIF est une ETI familiale angevine. Dirigée par José Burgos, elle est devenue un leader mondial de la protection contre les explosions industrielles. Une hyper-croissance fulgurante, tirée par le marché des batteries (BESS) et deux acquisitions internationales (Stuvex et Boss Products). Le piège vient de se refermer.

Le Challenge sur la Table

Comment sécuriser une croissance explosive quand votre ambition repose sur des sables mouvants ? C’est le casse-tête de José Burgos. Son objectif : 200 M€ en 2030. Un chiffre qui pourrait aussi bien le couronner que l'engloutir.

Mais cette ambition l’oblige à mener une guerre sur trois fronts simultanés, tous à haut risque. Son défi est immense. D'un côté, il doit réussir l'intégration de deux acquisitions majeures et structurer une croissance organique fulgurante sur le marché volatile des batteries. De l'autre, il lui faut réduire une dépendance stratégique à quelques méga-clients, comme le géant Tesla, dont les soubresauts impactent déjà les résultats.

Ce n'est plus une question de croissance, mais un pari sur la maîtrise de la complexité.

Pour transformer ce pari sur la complexité en avantage, nous avons modélisé deux scénarios.

Levier 1 : Transformer la Transaction en Verrouillage

Le Principe Stratégique

Dans un monde où la loyauté client est un champ de bataille, la dépendance à des commandes transactionnelles est un suicide stratégique. Le véritable pouvoir ne réside plus dans la vente d'un produit, mais dans la création d'un revenu récurrent qui ancre le client dans votre écosystème.

Il s'agit de passer d'un statut de "fournisseur" à celui de "partenaire indispensable", en monétisant non plus l'objet, mais la garantie de sa performance.

L'Exemple d’Implémentation : "Vigilex 360"

Plutôt que de vendre des systèmes de sécurité et des contrats de maintenance ponctuels, STIF pourrait packager une offre de services par abonnement. Baptisée "Vigilex 360", cette offre garantirait aux clients comme Tesla ou Fluence une conformité et une disponibilité absolues de leurs parcs de batteries.

L'abonnement inclurait la maintenance préventive, le remplacement immédiat des composants, les mises à jour de certification et, surtout, un accès prioritaire à l'expertise des ingénieurs de Stuvex.

Le client n'achète plus un produit. Il achète la tranquillité d'esprit, une assurance contre le risque d'explosion, transformant une dépense d'investissement (CAPEX) en une charge de fonctionnement prévisible (OPEX). Cette approche s'appuierait sur le maillage mondial de STIF et transformerait les équipes de service acquises via Stuvex et Boss Products en générateurs de revenus récurrents.

La Leçon Transposable

Votre modèle repose-t-il sur des ventes uniques et volatiles ? Et si vous identifiiez le service critique qui entoure votre produit pour le transformer en une offre d'abonnement qui rend vos clients captifs par la valeur ?

Levier 2 : Vendre l'Information, pas seulement l'Acier

Le Principe Stratégique

Dans l'économie de la donnée, vendre un objet physique est une commodité. La véritable différenciation vient de l'intelligence que cet objet peut générer.

Pour un acteur industriel, le Graal est de passer du statut de fabricant de matériel à celui de fournisseur d'informations prédictives. Le produit n'est plus la finalité, mais le vecteur d'une connaissance qui prévient le risque au lieu de simplement le contenir.

L'Exemple d’Implémentation : "STIF Sentinel"

Imaginez que les systèmes anti-explosion de STIF, comme le DUAL-VENT, soient équipés de capteurs IoT mesurant en temps réel des variables critiques (pression, température, émanations de gaz) à l'intérieur des conteneurs BESS.

Le service "STIF Sentinel" consisterait à vendre non plus le panneau en métal, mais un abonnement à une plateforme de monitoring qui analyse ces données. Grâce à un algorithme calibré sur le banc de tests d'explosion de STIF, le système pourrait lancer des alertes d'emballement thermique imminent.

La proposition de valeur est une rupture : STIF ne vend plus une protection passive qui se déclenche pendant l'explosion, mais une intelligence active qui permet de l'éviter. Pour Tesla ou CATL, cette donnée prédictive, intégrée à leurs propres systèmes, créerait un verrouillage technologique quasi-impossible à défaire.

La Leçon Transposable

Quel est l'actif "invisible" que votre produit génère ? Quelle est l'information critique que vous pourriez collecter, analyser et vendre pour passer du statut de simple fournisseur à celui de partenaire stratégique irremplaçable ?

La Question Qui Ouvre le Jeu

L'enjeu pour STIF, comme pour de nombreuses ETI en hyper-croissance, n'est donc pas de choisir entre croissance organique et acquisitions, ou entre innovation produit et expansion internationale.

Le véritable arbitrage est plus subtil : faut-il continuer à vendre des "choses" avec une efficacité redoutable, ou commencer à vendre de l'"immatériel" – de la garantie et de l'information – pour bâtir une forteresse ?

La question qui se pose à tout dirigeant face à une dépendance client critique n'est pas "comment trouver plus de clients comme celui-ci ?"

Mais "comment transformer la nature même de ma relation avec ce client pour qu'il ne puisse plus jamais se passer de moi ?"

La partition est jouée. Quel est votre prochain mouvement ?

Le parcours d'un conquérant n'est jamais une ligne droite. C'est un cycle qui se répète : le courage de choisir son combat, la force d'endurer la victoire, et l'intelligence de maîtriser le chaos qui s'ensuit. Ces trois actes ne définissent pas une entreprise, ils définissent les leaders qui durent.

La partition, elle, ne s'arrête jamais. La semaine prochaine, un nouveau combat commence. Un secteur inattendu sera mis sous le microscope, avec son lot de décisions impossibles et d'angles morts.

Serez-vous prêt à y voir ce que personne d'autre ne voit ?

Si ce voyage stratégique vous parle, invitez un autre leader à nous rejoindre. La lucidité se partage.

À la semaine prochaine,

Eric

Les fondations des analyses

Les analyses présentées dans cette édition s'appuient sur les sources suivantes :

  • Cas "Stellantis" : Enquête de La Tribune (16/10/2025), complétée par d'autres publications des Echos et de La Tribune.

  • Cas "Cityz Media" - L'analyse de la posture de Guillaume Quillot est une réflexion basée exclusivement sur les propos rapportés dans les sources publiques suivantes : Article des Echos (09/10/2025), corroboré par la presse spécialisée (Stratégies).

  • Cas "STIF" : Article de La Tribune (03/10/2025), complété par la presse spécialisée (Journal des Entreprises).