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Dirigeants Augmentés – Subir (Solaire), Gérer (Réguillon & Pétavit), ou Architecturer (Eurenco) ?

Bonjour à tous,

Aujourd'hui, nous allons parler d'un sujet qui touche le cœur de votre métier de dirigeant : la dépendance.

La dépendance à l'État, bien sûr. Mais aussi la dépendance à un client majeur, à un partenaire incontournable, ou pire, à un rival dont vous ne pouvez pas vous passer.

Face à cette contrainte, trois postures existent : L'otage, qui subit l'incohérence de son partenaire jusqu'à l'asphyxie. Le gestionnaire, qui pilote cette dépendance avec lucidité pour s'acheter une liberté. L'architecte, qui change les règles du jeu pour la transcender.

Si ces analyses vous parlent, si elles bousculent vos certitudes, le meilleur moyen de soutenir ce travail est de les partager autour de vous. Transférez cette édition à un autre dirigeant que cela pourrait intéresser.

Maintenant, commençons par l'anatomie d'un piège.

Quand le "pacte" avec l'État devient un piège : l'asphyxie silencieuse du solaire français

La fin de l'insouciance

Il y a des signaux faibles qui ne trompent pas. La liquidation de BoucL Energie cet été en est un. Cette "jeune pousse", qui devait construire la plus grande toiture solaire de France sur l'ancienne base sous-marine de Bordeaux, a vu son financeur principal, le fonds Conquest, se retirer.

Ce n'est pas une anecdote. Ce n'est pas un simple "accident de marché". C'est le symptôme d'un décrochage profond, le premier domino d'une filière qui suffoque, non pas par manque de demande ou de technologie, mais par excès d'incohérence politique.

Ce qui se joue dans le solaire aujourd'hui est une leçon pour tout dirigeant dont le modèle d'affaires repose, de près ou de loin, sur une promesse ou un cadre fixé par la puissance publique. Et cela concerne bon nombre d'entre vous, dans la défense, le BTP, la MedTech ou les cleantechs.

L'anatomie d'un décrochage programmé

Pour comprendre l'asphyxie, il faut observer la manœuvre. L'État français a agi en deux temps contradictoires.

Hier, il a massivement encouragé la filière à coups d'aides et de tarifs d'achat garantis (le fameux S21), créant de fait un écosystème sous perfusion, dépendant de la stabilité réglementaire pour planifier ses investissements.

Aujourd'hui, il change les règles du jeu au milieu de la partie. Non seulement les tarifs de rachat baissent, mais l'État actionne un levier fiscal punitif : un doublement de l'IFER (Imposition Forfaitaire sur les Entreprises de Réseaux) qui, subtilité administrative, ne taxe pas la production réelle mais la "puissance installée".

Un patron du secteur, s'alarmant de cette mesure fiscale, résume le sentiment général : "J'entends qu'on veuille solder les surrentabilités du passé, mais là, le message c'est : 'N'investissez plus en France'."

Pendant ce temps, la vision stratégique – seule capable d'offrir une visibilité à long terme – est aux abonnés absents. La Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE3), ce document censé fixer le cap pour les années à venir, est enlisée au Parlement depuis quatre ans. Quatre ans de "débats houleux" entre pro-renouvelables et défenseurs du nucléaire, qui se traduisent par une seule chose pour vos homologues du solaire : zéro visibilité.

C'est ce que confirme Dimitri Bellanger, fondateur de Be Green, qui fait face au retrait de ses partenaires financiers : "Pour 2026, 'on n'a aucune visibilité'".

Le résultat est mécanique. Les PME innovantes (BoucL Energie, Be Green, CréaWatt) sont les premières à tomber. Les investisseurs (Conquest) et les grands acteurs (Iberdrola) suspendent leurs projets. L'écosystème entier retient sa respiration.

Xavier Daval, du Syndicat des énergies renouvelables (SER), le formule ainsi : "La disparition des tarifs pour les petits projets, la menace d'un moratoire et l'absence de perspectives faute de PPE3 ont profondément ébranlé la confiance des investisseurs."

Le miroir tendu à votre propre secteur

Regardez bien ce schéma. Il vous est familier, n'est-ce pas ?

Que vous pilotiez une PME/ETI dans l'aéronautique, une filiale dans la défense ou une startup du nucléaire, vous connaissez cette dépendance aux grands plans d'État. Vous savez ce que pèse l'incertitude d'une Loi de Programmation Militaire (LPM) ou d'un plan de relance.

La douleur que ressent la filière solaire a un nom : la vulnérabilité stratégique. C'est la difficulté à bâtir un plan à cinq ans quand votre "partenaire" principal, l'État, pilote à la semaine. Comme le dénonce Daniel Bour, président d'Enerplan, les décisions sont arbitrées non pas par une vision industrielle, mais par une "immédiateté et une politisation complètes de l'énergie."

L'erreur est de croire au "pacte" stratégique. L'État n'est pas un partenaire comme un autre. C'est un acteur politique, soumis à ses propres urgences, qui n'hésitera pas à vous considérer comme une simple variable d'ajustement budgétaire.

Quand votre modèle d'affaires dépend d'une visibilité que seul l'État peut garantir, votre stratégie n'est plus la vôtre. Elle est en sursis.

Redéfinir la souveraineté : la piste privée

Faut-il pour autant céder au cynisme ? Non. Il faut céder à la lucidité.

Le modèle français, centralisé et dépendant des subventions, montre ses limites. Le constat de Sébastien Zimmer, chez Sia Partners, tombe comme un couperet : "Il n'y a plus de modèle économique pour le photovoltaïque seul."

Le dossier des Échos pointe une piste bien plus robuste, venue des États-Unis. Là-bas, malgré un contexte politique parfois climato-sceptique au plus haut niveau, les investissements privés sont massifs.

Pourquoi ? Parce que la demande est tirée par le marché, pas par l'administration.

Le contrat gigantesque signé entre Meta et le français Engie l'illustre parfaitement. Meta a besoin d'alimenter la "soif inextinguible en électricité" de ses datacenters pour l'IA. Cette demande est privée, tangible et prévisible. Elle n'est pas soumise aux aléas d'un débat parlementaire sur la PPE3.

La véritable souveraineté, pour un dirigeant, ne consiste pas à attendre que l'État tienne ses promesses. Elle consiste à bâtir un modèle économique dont la résilience est assurée par une demande client solvable et pérenne.

L'État doit se contenter de fixer un cadre simple, stable, et de s'abstenir de fausses promesses. Aux acteurs économiques de construire, sur cette base clarifiée, la véritable indépendance énergétique. Le reste n'est qu'une illusion coûteuse.

Subir n'est donc pas une fatalité.

La filière solaire, victime d'un État qui change les règles en cours de partie, illustre le piège de la passivité.

Mais que faire quand 80% de votre chiffre d'affaires dépend des marchés publics ? Michel Réguillon, lui, a transformé cette contrainte absolue en levier stratégique. Il ne subit pas la dépendance, il l'organise.

Voici comment.

Comment rester un militant quand vos clients sont des politiques ?

On pense souvent qu'un dirigeant de PME du BTP a le béton armé dans les veines et le cynisme pour moteur. On imagine un homme pragmatique, obsédé par les coûts, dont l'écologie est, au mieux, une vague contrainte administrative.

Michel Réguillon est le démenti vivant de ce cliché.

À la tête d'un groupe familial en pleine croissance (350 salariés, 80M€ de CA) et Président des Canalisateurs du Sud-Est (CSSE), il ne se contente pas de construire des routes. C'est un homme de conviction. Sa défense de la transition écologique, qu'il porte publiquement, tranche avec la posture habituelle de sa profession.

Un homme de conviction face à l'hérésie

Quand une résolution européenne allège les critères environnementaux, il qualifie la décision d'hérésie. Une folie.

Il affirme une vérité que son secteur préfère ignorer : "si nous ne réduisons pas nos émissions de CO2, il sera difficile de vivre sur Terre dans vingt ans". Cette phrase n'est pas une posture. C'est le moteur de son action.

Cette posture de "dirigeant-militant" le place dans une position exposée. Il est le porte-drapeau d'une transition que beaucoup jugent excessive, dans un écosystème où la logique de coût et de marché prime sur toute autre considération.

Il est l'homme qui veut avoir "un train d'avance" dans un monde qui regarde en arrière.

Le moteur paradoxal de la croissance

Seulement voilà, le modèle économique de Michel Réguillon est une illustration parfaite de dépendance stratégique. 80% de son chiffre d'affaires provient des marchés publics.

Son principal client n'est pas une entreprise privée sensible à sa mission carbone. Ce sont les acteurs politiques locaux. Ceux-là mêmes qui naviguent dans le pragmatisme électoral, bien loin des visions à vingt ans.

Le défi est immense. Comment rester le leader d'une écologie exigeante sans s'isoler de sa profession et, surtout, sans fragiliser les relations politiques qui sont le véritable moteur de son business?

C'est tout l'exercice d'équilibre d'un homme pris en étau entre des convictions profondes, quasi existentielles, et un modèle économique ultra-dépendant.

La stratégie de l'ancrage

Face à ce paradoxe, Réguillon ne choisit pas. Il aligne. Sa stratégie de croissance n'est pas qu'une simple expansion. C'est l'outil qui lui permet de gérer cette contradiction.

Le rachat de Pétavit en 2020, l'ouverture de nouvelles agences à Auxerre, l'investissement d'un million d'euros pour une "base de vie" à Saint-Quentin-Fallavier (en région lyonnaise)... Chaque mouvement a une double lecture.

Officiellement, il s'agit de développement. Stratégiquement, il s'agit de "maintenir sa position" sur ses territoires. De "soigner la relation avec les acteurs locaux, notamment politiques".

Il ne subit pas sa dépendance à la commande publique. Il la systématise. En renforçant son implantation physique, il répond à une attente forte des élus : la présence locale. En retour, cette présence lui donne la légitimité pour continuer à défendre sa vision "bas carbone". Une vision qu'il présente comme la seule voie viable à long terme.

Il lie systématiquement sa croissance géographique à sa mission environnementale. Chaque nouvelle agence devient la preuve que son modèle, loin d'être une utopie, est un avantage concurrentiel.

Leçon de stratège

Le cas de Michel Réguillon n'est pas un simple "challenge RSE". C'est une leçon de leadership en environnement complexe. Il nous enseigne qu'une vision, même radicale, peut survivre dans un écosystème hostile. À une condition.

Ne jamais opposer la vision et le modèle économique. Mais faire du modèle économique l'outil au service de la vision.

Réguillon ne demande pas à ses clients politiques de devenir des militants. Il leur offre ce dont ils ont besoin : un partenaire local, fiable, qui crée de l'emploi sur leur territoire. Cette légitimité, payée par des investissements concrets, lui achète la liberté de poursuivre sa mission.

Il ne résout pas la contradiction. Il l'organise. Il la pilote. C'est la démarche d'un homme qui a compris que pour changer le monde, il ne suffit pas d'avoir raison.

Il faut avoir une stratégie.

La question n'est donc pas de savoir si vos convictions sont compatibles avec votre marché. La seule question qui vaille est : quelle stratégie allez-vous bâtir pour rendre votre marché compatible avec vos convictions ?

Piloter sa dépendance, c'est bien. C'est le niveau du gestionnaire lucide.

Mais le niveau ultime, celui de l'architecte, est de la transcender. Que faire quand votre plus gros client est aussi votre pire rival ? Gérer ne suffit plus. Il faut redéfinir les règles du jeu.

C'est tout l'enjeu que nous décryptons dans le cas Eurenco.

Hyper-croissance : et si vos plus grands clients étaient aussi vos pires rivaux ?

Fondée sur les cendres de la SNPE (Société nationale des poudres et explosifs) et propulsée par la fusion avec son homologue suédois, Eurenco incarne aujourd'hui le réarmement européen.

Dirigée depuis 2019 par Thierry Francou, cette société 100% publique, leader européen des poudres et explosifs, a vu son chiffre d'affaires quasiment tripler pour atteindre 570 M€, avec un objectif affiché de dépasser le milliard avant 2030. Une trajectoire fascinante.

Le Challenge sur la Table

Le véritable défi de Thierry Francou dépasse la simple gestion de l'hyper-croissance. Il doit jouer sur deux échiquiers : d'un côté, piloter une expansion industrielle massive (investissements colossaux de 650M€, recrutements doublés, formation intensive pour des compétences rares). De l'autre, agir comme un architecte de la consolidation de l'industrie de défense européenne.

Comment peut-il transformer Eurenco en un acteur mondial en nouant des partenariats stratégiques, en ouvrant potentiellement son capital, et en gérant des relations complexes avec des concurrents qui sont aussi ses plus grands clients (comme Rheinmetall) ? Son challenge est de transformer une opportunité de marché conjoncturelle en une position de leader structurel et pérenne. Un casse-tête stratégique de haut vol.

Pour transformer ce défi en avantage, nous avons modélisé deux scénarios.

Levier 1 : Verrouiller l'Accès Stratégique

Le Principe Stratégique

Dans un contexte de tension extrême sur les capacités ("économie de guerre"), alimenté par une demande explosive, la ressource la plus rare n'est plus le produit lui-même, mais la garantie d'y avoir accès.

Ce principe consiste à monétiser cette rareté en vendant de la certitude. On ne vend plus des tonnes d'explosifs, on vend des droits d'accès prioritaires à la production. Cela stabilise les revenus et aligne les intérêts des clients avec les investissements capacitaires.

L'Exemple d'Implémentation : Le "Club Souveraineté"

Imaginez une offre premium, "Le Club Souveraineté". Fini les contrats spot volatiles. Eurenco propose des accords-cadres pluriannuels verrouillés. Les clients stratégiques (y compris Rheinmetall) n'achètent plus des tonnes de poudre, ils achètent un "droit d'accès prioritaire" à la capacité de production.

C'est un abonnement stratégique. Ce paiement anticipé, ce "ticket d'entrée", n'est pas un simple acompte. C'est un co-financement direct du plan colossal de 650 M€ (autofinancé à 550 M€) nécessaire pour les nouvelles usines, comme celle de Bergerac.

Eurenco transforme ses clients en partenaires obligés. Mieux : en banquiers de sa propre expansion souveraine. Ils sécurisent leur approvisionnement vital : Eurenco sécurise son cash-flow, son BFR et son leadership. Les autres ? Ils attendront.

La Leçon Transposable

Et vous, quelle est la ressource la plus critique et la plus rare que vous contrôlez dans votre chaîne de valeur, et comment pourriez-vous la transformer d'une simple transaction en une offre de garantie stratégique à haute valeur ajoutée ?

Levier 2 : Imposer le Standard par la Base

Le Principe Stratégique

Pour neutraliser le pouvoir de négociation de clients intermédiaires puissants (surtout s'ils sont aussi concurrents), il faut créer une demande directe chez le client final.

En imposant un label ou une marque reconnue par l'utilisateur ultime comme un gage de qualité ou de sécurité indispensable, on force la main à toute la chaîne. Le fournisseur de l'ingrédient devient celui qui dicte les règles du jeu.

L'Exemple d'Implémentation : Le Label "I-MUX Certified"

Eurenco capitalise sur son savoir-faire technologique unique en Europe : les "munitions insensibles (IM)". Elle crée un label, pas une simple marque : le "I-MUX Certified" (pour Insensitive Munitions Unique). C'est le "Eurenco Inside" de la défense.

L'objectif ? Ne pas convaincre les munitionnaires, mais les contourner. Via une campagne de lobbying et de normalisation ciblée sur les donneurs d'ordre finaux (OTAN, DGA, agences de défense européennes), "I-MUX" devient le "Gold Standard" de la sécurité et de la performance. Les armées exigent ce label dans leurs appels d'offres. Résultat : Rheinmetall et les autres grands clients, pour vendre leurs propres obus, sont contraints d'intégrer les explosifs Eurenco et d'afficher le label. Eurenco ne vend plus un ingrédient, il vend un standard incontournable.

La Leçon Transposable

Et vous, quelle est la caractéristique unique de votre produit ou service que vous pourriez transformer en un standard reconnu par le client final, créant ainsi une demande "pull" qui court-circuite les intermédiaires ?

La Question Qui Ouvre le Jeu

Le cas Eurenco illustre magistralement comment une entreprise peut exploiter un choc externe non pas pour simplement survivre, mais pour redéfinir sa position stratégique et architecturer son écosystème.

La véritable audace n'est pas de répondre à la demande, mais d'utiliser cette demande comme carburant pour changer les règles du jeu.

Et vous, quel choc actuel pourriez-vous transformer en levier pour imposer votre propre standard et devenir l'architecte incontournable de votre marché ?

Otage, gestionnaire, ou architecte : il faut choisir

Ces trois niveaux de maturité stratégique – subir, gérer, architecturer – sont les seuls choix qui s'offrent à vous.

Le cas du solaire illustre le coût de la passivité. Celui de Michel Réguillon prouve que la gestion active est possible. Le décryptage d'Eurenco ouvre la voie à la souveraineté stratégique : changer les règles du jeu.

La seule question qui vaille ce lundi est : quelle est votre posture actuelle ? Et laquelle visez-vous ?

La prochaine édition est déjà en préparation. Nous garderons le même triptyque : analyse macro, portrait de dirigeant et décryptage stratégique pour continuer à bousculer vos certitudes.

Si cette édition vous a été utile, transférez-la à un autre dirigeant que cela pourrait intéresser.

Eric

Les fondations des analyses

Les analyses présentées dans cette édition s'appuient sur les sources suivantes :

  • Dossier Filière Solaire : Enquête des Echos (28/10/2025), complétée par d'autres publications des Echos.

  • Portrait de Michel Réguillon - Notre analyse de sa posture est basée exclusivement sur ses propos publics, rapportés par les sources suivantes : Article des Echos (01/10/2025), corroboré par la presse (Le Journal de Saône et Loire, Le Progrès).

  • Etude de Cas Eurenco : Article des Echos (13/10/2025), complété par la presse spécialisée (L'Usine Nouvelle, Le Journal des entreprises).