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Dirigeants Augmentés : Verkor et vous : autopsie de ce qui vous tue à petit feu
Bonjour à tous,
Bienvenue dans cette nouvelle édition de "Dirigeants Augmentés". Chaque semaine, je partage des réflexions sans filtre sur ce qui fait et défait les entreprises. Sans formalité, sans publicité – juste un professionnel qui partage son expérience avec d'autres.
Cette semaine, on fait une double autopsie.
D'un côté, le cas d'un champion industriel adulé, Verkor. Le miroir de vos angoisses stratégiques : le pari technologique, la dépendance commerciale, l'hémorragie humaine.
De l'autre, votre propre machine interne. La plus complexe. Le mythe du leader solitaire qui doit tout porter, tout décider, sans jamais faillir.
Deux batailles. L'une, visible, se joue sur les marchés. L'autre, invisible, se déroule dans votre tête. Et pourtant, elles sont intimement liées. Car la manière dont vous menez la seconde détermine l'issue de la première.
On commence par le décor.

L’équation du dirigeant : les milliards, la gloire, la solitude
On va parler de Verkor et de vous, à travers le parcours de cette société. Et donc, on va parler de vous.
L'histoire de cette start-up, chouchoute de l'Elysée, est fascinante. Pas pour les deux milliards d'euros levés, ni pour la promesse de réindustrialisation. Non. Elle est fascinante parce qu'elle est un concentré de tous les cauchemars qui vous empêchent de dormir la nuit.
La pression de la transformation. Le risque stratégique. Et surtout, la solitude absolue de celui qui doit décider.
1. Le mirage technologique
Verkor a misé sur la technologie de batterie NMC (nickel, manganèse, cobalt). Un choix logique, à l'époque. Le meilleur ratio performance/coût. Sur le papier.
Pendant ce temps, la Chine perfectionnait une autre technologie, la LFP (lithium, fer, phosphate). Moins dense, mais moins chère. Et voilà que les experts murmurent que la LFP rattrape son retard en performance, tout en conservant un avantage coût de 40%.
Un fantasme, me direz-vous ? Peut-être. Mais cette situation est la vôtre, chaque jour. Vous avez investi dans une machine, un ERP, une ligne de production, convaincu de sa supériorité. Et vous regardez, impuissant, une technologie alternative, plus frugale, plus agile, grignoter le marché.
La question n'est pas d'avoir raison. La question est : quelle est la taille du risque si vous avez tort ? Avez-vous un plan B ? Ou votre entreprise est-elle un pari à tapis sur une seule couleur ?
2. Le capital humain, votre actif le plus volatil
Au moment le plus critique, celui du passage à l'échelle industrielle, deux des co-fondateurs historiques quittent le navire. Les raisons officielles sont polies : « Je suis un chercheur, pas un capitaine d'industrie ».
La réalité, vous la connaissez. Les équipes qui excellent dans l'amorçage ne sont pas toujours celles qui brillent dans l'industrialisation. Les visions divergent. Les ego s'entrechoquent. La pression révèle les fractures.
Votre plus grand défi n'est pas de lever des fonds. C'est de maintenir un commando aligné quand la tempête se lève. L'argent peut construire des murs, mais il ne soude pas une équipe. Il a même souvent tendance à la faire exploser.
Quand un fondateur s'en va, ce n'est pas un simple départ. C'est un morceau de l'ADN de l'entreprise qui s'en va. Et parfois, c'est l'âme tout entière.
3. Le poids de la preuve
Verkor a un client principal : Renault. Un partenariat prestigieux, mais qui concentre un risque immense. D'autant que les premières rumeurs sur la performance des cellules émergent. Le cahier des charges serait-il respecté ?
C'est l'épreuve du feu. Le moment où la promesse se confronte au réel. Le moment où vous, dirigeant, êtes seul face à votre client, à vos investisseurs, à vos équipes. Les milliards levés ne sont plus un trophée. Ils sont une dette. Une obligation de résultat qui vous écrase les épaules.
Chaque jour, vous devez prouver que votre vision n'était pas un délire. Que votre audace était de la lucidité. Et que vous êtes l'homme, ou la femme, de la situation.
L'histoire de Verkor, c'est cela. C'est le rappel brutal que derrière les plans de financement et les feuilles de route technologiques, il y a des décisions humaines, des doutes et une solitude profonde.
Votre solitude.
Voilà pour Verkor. Le risque technologique, la dépendance commerciale, la volatilité du capital humain...
Tout ça, ce n'est que le champ de bataille.
Mais qui est le général ? Qui prend les décisions au milieu de ce chaos, avec des informations incomplètes et une pression maximale ?
C'est là que se trouve le véritable angle mort. Pas dans vos tableaux de bord. Dans votre propre tête.
Dans cette solitude que l'on vous a vendue comme une marque de fabrique du pouvoir, une preuve de force.
Et si cette solitude n'était pas une force, mais votre plus grand handicap stratégique ?

L'arme secrète des leaders qui ne craquent pas sous la pression
On vous a vendu une image. Celle du leader solide, du chêne solitaire qui résiste à toutes les tempêtes. Une posture. Un rôle à tenir.
La vérité, c'est que le chêne est seul. Et que la foudre finit toujours par tomber.
Votre expérience et votre intelligence vous ont amené là où vous êtes. Mais aujourd'hui, elles sont devenues votre propre prison. Le mythe du génie solitaire qui résout tout est une impasse, une illusion confortable qui vous isole un peu plus chaque jour.
Le vrai courage n'est pas de tout porter seul. C'est d'admettre que vous êtes devenu votre propre goulot d'étranglement.
Le poison de la certitude
À force de décider seul, vos biais de confirmation sont devenus des certitudes. Vos angles morts, des dogmes. Vous êtes dans une tour d'ivoire et vous ne le savez même plus.
Votre famille ne comprend pas la complexité de vos enjeux. Vos amis vous conseillent la prudence. Vos collaborateurs ont leurs propres agendas.
Qui challenge réellement votre pensée ? Qui ose vous dire que votre plan est bancal ? Qui vous met face à la vérité que vous refusez de voir ?
Personne.
Cette solitude n'est plus un signe de force. C'est un handicap compétitif mortel dans un monde qui, lui, ne cesse d'accélérer.
L'intelligence n'est pas un stock, c'est un flux
Les systèmes les plus performants ne sont jamais des monolithes.
Le cerveau humain lui-même est une collaboration permanente entre l'hémisphère gauche, analytique, et le droit, intuitif.
Les IA qui battent les meilleurs experts sont des "méthodes ensemblistes" : des centaines d'algorithmes imparfaits qui, ensemble, atteignent une forme de génie.
Leur force ne vient pas de la perfection individuelle, mais de la diversité collective.
Le principe est simple : confronter un problème à des perspectives multiples, indépendantes et décentralisées. C'est la seule façon de tuer le bruit pour se concentrer sur le signal. De sortir de sa propre chambre d'écho.
La vulnérabilité comme arme stratégique
Vous avez peur du superficiel. Des clubs de dirigeants qui sont des théâtres d'ego où l'on parle de ses succès, jamais de ses vraies galères. C'est normal.
Le but ici n'est pas de se faire mousser. C'est de déposer les armes.
C'est de mettre sur la table, en toute confidentialité, le problème qui vous ronge depuis six mois. Et de laisser 7 autres cerveaux, qui n'ont aucun intérêt dans votre business, l'attaquer sous des angles que vous n'auriez jamais imaginés.
La confidentialité n'est pas une option, c'est le socle. Sans elle, pas de vulnérabilité. Sans vulnérabilité, pas de vrais problèmes. Et sans vrais problèmes, pas de vraies solutions. Juste de la conversation.
De la discussion à la décision
Un tel collectif ne "parle pas de ce qui se passe". Il "trouve ce qu'il faut faire". La nuance est fondamentale.
Chaque session se termine par un plan d'action. Pas des idées en l'air. Des étapes. Et une responsabilisation. Le groupe vous demandera des comptes. C'est ce qui transforme l'inspiration en discipline.
Combien vous coûte l'indécision aujourd'hui ? L'hésitation face à une transformation nécessaire ? Le manque de clarté sur un pari stratégique ?
Le poids des décisions est immense quand on le porte seul. Partagé avec des pairs de confiance, il devient un challenge stimulant.
Le plus grand risque n'est pas de s'ouvrir. Le plus grand risque est de rester immobile, seul avec ses doutes.
La question n'est pas si vous avez besoin de briser votre solitude. La question est, combien de temps encore pouvez-vous vous permettre de ne pas le faire ?
Le champ de bataille et le général
La leçon de cette semaine est simple : votre entreprise est le reflet de vos propres angoisses et de vos angles morts. Les risques qui menacent Verkor sont les mêmes qui vous guettent. La seule différence, c'est votre capacité à les voir et à les affronter. Et cela ne se fait jamais seul.
C'est la fin de l'ère du génie solitaire. L'heure est à l'intelligence collective structurée.
La semaine prochaine, on quitte la psychologie pour l'architecture. On va parler de business models. Pas de la théorie poussiéreuse de MBA. Mais de comment ajouter, concrètement, des briques de revenus complémentaires à votre activité principale pour renforcer votre résilience.
L'analyse sera dense et directement applicable.
Si cette édition vous a bousculé, partagez-la à un autre dirigeant qui se bat seul. Il vous remerciera.
Eric