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Dirigeants Augmentés : Votre double-menace : le bruit politique et la trahison de votre actionnaire.

Bonjour à tous,

Bienvenue dans cette édition de rentrée de Dirigeants Augmentés.

Cette newsletter évolue aujourd'hui. Voici pourquoi :

Le contexte

Depuis des mois, je partage des analyses confidentielles avec un cercle restreint de dirigeants. En juin, j'ai lancé cette version publique pour tester des idées à une plus grande échelle.

Mais la qualité des abonnés qui nous ont rejoint ces dernières semaines a changé la donne. Beaucoup d'entre vous sont arrivés après avoir reçu une de mes études de cas.

La distinction entre "public" et "confidentiel" n'a plus de raison d'être. Il est donc logique de fusionner les deux.

La "nouvelle" version

Dirigeants Augmentés devient une édition unique, plus dense, et réservée à un cercle de dirigeants. L'archive reste publique. Recevoir cet email reste gratuit, mais c'est une exclusivité.

Le contenu sera du même calibre que les analyses que certains d'entre vous ont eues entre les mains. Direct, sans filtre, pragmatique.

Ma mission

On m'a d'ailleurs demandé pourquoi "Dirigeants Augmentés". La réponse est simple :

Mon approche n'est pas de donner des réponses toutes faites. C'est de pointer les angles morts, de soulever des réflexions contre-intuitives et de dévoiler de nouvelles perspectives.

Mon objectif n'est pas de dire quelle est la "bonne" décision. C'est d'augmenter la capacité des dirigeants à prendre des décisions plus lucides, plus rapides et plus justes pour leur entreprise.

C'est ça pour moi, un dirigeant augmenté.

Une faveur

Si ce que vous lisez ici vous semble pertinent pour un autre dirigeant de votre réseau, je vous encourage vivement à lui transmettre. La force de ce cercle réside dans la qualité de ses membres.

Dans cette édition :

Cette semaine, on décortique l'anatomie du pouvoir en temps de crise.

Le pouvoir n'est pas une position, c'est un mouvement. Un arbitrage constant entre les menaces visibles et les risques invisibles. On va d'abord analyser le théâtre politique qui vous prend pour cible, puis plonger dans une trahison plus intime, celle de l'actionnaire qui déserte en pleine bataille.

Deux fronts, deux types de guerre.

Pourtant, la vraie bataille n'est ni politique, ni financière. Elle se joue entre vos deux oreilles. C'est pourquoi on terminera en vous livrant l'architecture mentale qui permet non pas de survivre à ce double assaut, mais de le maîtriser.

La partie d'échecs commence.

Au-delà des 211 milliards : décoder le bruit, maîtriser le réel et chasser les angles morts

Le débat public vous caricature en profiteur pendant que vous naviguez dans le brouillard. Ce grand schisme entre le théâtre politique et votre réalité de terrain est le principal risque stratégique actuel.

Cette semaine, on dissèque la manipulation, on déconstruit les illusions et on révèle les angles morts. Pour que vous ne soyez plus le spectateur, mais le stratège.

Acte 1 : le mythe – la fable des "211 milliards de cadeaux"

Vous l'avez entendu. Ce chiffre, 211 milliards d'euros, brandi comme la preuve ultime. Les "cadeaux" faits aux entreprises. L'accusation est simple, brutale. Elle vise à vous placer dans le rôle du profiteur, celui qui encaisse pendant que le pays souffre.

La réalité est plus technique. Moins spectaculaire.

Ce chiffre est une manipulation politique grossière. Un fourre-tout qui mélange des dispositifs n'ayant rien à voir avec des "cadeaux". On y trouve la modération des taxes sur l'énergie qui bénéficie in fine au consommateur, des aides sectorielles ciblées, ou encore les retraites des anciens de la SNCF.

C'est un théâtre.

Un théâtre conçu pour créer un ennemi facile et masquer la complexité. Pendant que le débat public s'enflamme sur cette fiction, votre réalité de dirigeant est ignorée. Pire, elle est travestie.

Cette indignation que vous ressentez ? Elle est légitime. C'est celle d'une personne qu'on accuse d'un crime qu'elle n'a pas commis, alors qu'elle est déjà en train de maintenir le navire à flot en pleine tempête.

Acte 2 : la réalité – la "barque pleine" et le "brouillard permanent"

Pendant que le théâtre politique bat son plein, vous, vous êtes aux commandes. Et la météo est exécrable.

La réalité, c'est que la pression fiscale sur les entreprises françaises reste l'une des plus élevées d'Europe. Le taux d'imposition sur les sociétés reste significativement supérieur à la moyenne de l'UE (25.8% contre environ 21.5%). La "barque est pleine", comme le résume un patron du CAC 40. Chaque nouvelle taxe, chaque nouvelle norme, chaque nouvelle contrainte administrative ajoute un poids qui menace de la faire couler.

Ajoutez à cela l'instabilité politique. Le déficit public qui se creuse année après année (passant de 5.4% du PIB en 2023 à une prévision de 5.8% en 2024) crée une incertitude fiscale permanente. Comment investir à long terme quand les règles du jeu peuvent changer après chaque élection, chaque crise budgétaire ?

Vous êtes des "conducteurs dans le brouillard".

Cette double peine – être à la fois le moteur économique et la cible politique – est une spécificité française. Elle use. Elle isole. Elle vous place dans une situation de vulnérabilité et de solitude que peu de gens peuvent comprendre.

Acte 3 : l'angle mort – les signaux faibles que le bruit occulte

C'est ici que votre rôle de dirigeant prend toute sa dimension. Car pendant que tout le monde regarde la pièce de théâtre, le vrai match se joue ailleurs. Dans les angles morts.

Le bruit politique est si assourdissant qu'il rend aveugle aux signaux faibles, ces courants souterrains qui façonnent réellement l'économie.

Prenez la baisse des prix de l'énergie observée fin 2024 et début 2025. En théorie, un ballon d'oxygène pour la consommation. Mais la confiance des ménages reste en berne, et cette baisse ne se traduit pas automatiquement en dépenses. C'est une information complexe, nuancée. Une information qui donne une longueur d'avance.

Le théâtre politique, lui, il préfère les slogans. La simplification outrancière. Il vous empêche de voir ces dynamiques fines pour vous maintenir dans un état de réaction permanente.

Votre véritable enjeu n'est pas de vous justifier face à des accusations grotesques.

C'est de développer une discipline de fer pour ignorer le bruit et vous concentrer sur le signal.

Votre vrai métier : être le stratège, pas le spectateur

Subir ce grand schisme entre le discours public et la réalité du terrain n'est pas une option. C'est la voie assurée vers la paralysie et l'épuisement. Votre rôle est de le maîtriser.

Cela demande trois compétences clés :

  1. Décoder. Comprendre que le discours public n'est pas une description du réel, mais un rapport de force. Un théâtre. Et refuser d'en être un acteur involontaire.

  2. Maîtriser. Piloter par les chiffres, les vôtres. Connaître votre réalité économique et fiscale sur le bout des doigts, pour ne jamais vous laisser anesthésier ou intimider par les fables ambiantes.

  3. Chasser. Allouer du temps et de l'énergie à la traque des angles morts et des signaux faibles. C'est là que se trouvent les vraies menaces et les véritables opportunités.

On ne vous demande pas de gagner un débat télévisé.

On vous demande de gagner sur le terrain économique.

Le théâtre politique est un adversaire bruyant, mais prévisible. Il vous use, mais il ne vous brise pas.

La véritable menace vient souvent de plus près.

Elle est silencieuse. Elle porte le masque de l'allié. Elle a les clés de votre entreprise. Que se passe-t-il quand le risque ne vient plus de l'extérieur, mais de l'intérieur ? Quand celui qui devait financer votre ambition devient l'architecte de votre potentielle faillite ?

C'est une autre forme de solitude. Plus brutale. Plus viscérale.

Celle du chef de guerre abandonné par les siens.

La solitude du chef de guerre : ce que la crise NovAsco nous apprend sur le leadership en conditions extrêmes.

L'idée reçue est que votre plus grand ennemi est le concurrent, le disrupteur, la crise de marché.

C'est faux.

Parfois, et c'est la leçon la plus dure, votre plus grand risque est assis à votre table. Il a les clés du coffre. Il vous a promis le monde. Il est votre actionnaire. Et il décide de vous laisser tomber en rase campagne.

C'est un scénario que tout dirigeant redoute, mais que peu préparent. Que faites-vous quand le carburant est coupé, que l'avion pique du nez et que le pilote s'est éjecté ? Vous pilotez.

Le cas d'étude : la trahison orchestrée chez NovAsco

Le cas de NovAsco, ex-Ascometal, est une masterclass en conditions réelles. En juillet 2024, le fonds britannique Greybull Capital reprend ce fleuron industriel de 730 salariés. Un an plus tard, l'entreprise est au bord du dépôt de bilan, placée en redressement judiciaire.

La raison ? L'actionnaire a déserté.

Sur les 90 millions d'euros promis, Greybull n'a injecté que des montants "dérisoires" : 1 euro de capital, 1.5 million de trésorerie. L'ETI se retrouve avec un besoin de 100 millions pour survivre.

À sa tête, Roland Junck, un ancien d'ArcelorMittal, se retrouve seul. Il ne doit plus seulement gérer une crise de marché – recul de la demande automobile, surcapacités mondiales dans l'acier. Il doit piloter un navire abandonné par son armateur, en pleine tempête, tout en essayant de convaincre un nouveau capitaine de monter à bord. Il mène un combat sur trois fronts.

1. La bataille opérationnelle : maintenir la machine en marche

Dans une situation de redressement, la tentation est de tout geler. De gérer la pénurie. C'est une erreur mortelle. La valeur d'une entreprise industrielle ne réside pas seulement dans ses bilans, mais dans sa capacité à produire. Un four qui s'éteint, un laminoir qui s'arrête, un savoir-faire qui se disperse, et l'actif n'est plus qu'une carcasse.

La première décision stratégique de Junck est donc de maintenir l'outil "opérationnel". De continuer à produire. De prouver aux salariés, aux clients, et surtout aux potentiels repreneurs que NovAsco n'est pas un musée, mais une usine vivante. C'est la condition sine qua non pour préserver la valeur de l'entreprise avant sa cession. On ne vend pas des ruines, on vend un potentiel.

2. La bataille financière : séduire un sauveur, pas un nouveau prédateur

La trahison de Greybull a empoisonné le dossier. Le risque est immense d'attirer non pas un industriel solide, mais un autre fonds opportuniste venu dépecer les actifs les plus rentables – comme le site modernisé de Leffrinckoucke – et laisser le reste mourir.

Le combat de Junck, avec l'appui de l'État via le CIRI, est donc de neutraliser cette image toxique. Il doit changer le narratif. Il ne s'agit pas de mendier une aide, mais d'offrir une opportunité stratégique.

En maintenant l'outil en marche, il rend l'offre tangible. En communiquant sur un projet "ambitieux et nécessaire" d'acier décarboné, il vend une vision d'avenir, pas un passif.

Il prépare le terrain pour un repreneur industriel crédible, un "Marcegaglia", pas un nouveau Greybull.

3. La bataille psychologique : incarner la mission quand la confiance est brisée

C'est le front le plus difficile, et le plus décisif. Comment mobiliser 730 salariés quand ils viennent d'être trahis ? La communication de NovAsco fin juillet est un cas d'école. Pas un mot sur la défaillance de l'actionnaire. Zéro victimisation.

Le discours de Junck est entièrement tourné vers l'avenir et la mission. Les termes sont choisis : les équipes sont "totalement engagées", "l'envie" est là, le combat est mené pour "préserver l'intégrité de l'entreprise". Le dirigeant ne parle pas de sauver une ETI. Il parle de sauver un "savoir-faire reconnu", un pilier de la "réindustrialisation" dont "la France a besoin".

Cette posture change tout. Elle transforme un drame social en épopée industrielle. Elle redonne du sens, de la fierté, et un cap. Elle dit aux équipes : "L'actionnaire est parti, mais la mission reste." C'est l'acte de leadership ultime : incarner personnellement la continuité et la vision lorsque tout le reste s'effondre.

La trahison d'un actionnaire révèle la vraie nature d'un dirigeant. Elle expose la différence entre un gestionnaire et un chef de guerre.

Et vous, si votre principal allié devenait votre principal risque, quel chef de guerre seriez-vous ?

Trahison politique, trahison financière... Ces deux batailles ont un point commun. Elles sont conçues pour vous faire réagir, pour vous submerger émotionnellement et vous pousser à la faute.

C'est là que se joue la différence entre le dirigeant qui subit et celui qui domine.

La vraie souveraineté n'est pas dans votre carnet de commandes ou votre pacte d'actionnaires. Elle est dans votre capacité à rester chirurgical quand tout brûle autour de vous. Cela ne s'improvise pas. C'est une architecture mentale.

Une double décision qui change la nature du jeu.

Le chaos est inévitable. Votre effondrement est optionnel.

Parlons de l'architecture mentale qui sépare ceux qui subissent de ceux qui dominent.

Votre bureau n'est plus un bureau.

C'est un poste de commandement en état de siège. Un problème de production ici, une crise de trésorerie là, un client majeur qui menace de partir, un conflit interne qui pourrit l'ambiance. Chaque problème arrive avec sa charge émotionnelle. La peur, la colère, la frustration, le doute.

L'individu moyen se noie. Il se laisse submerger, emporté par le courant émotionnel d'un problème qui vient polluer tous les autres. Le leader, lui, semble naviguer dans la tempête avec une clarté déconcertante.

Ce n'est pas de la magie. C'est une architecture. Un système d'exploitation qui tourne en fond, et une application tactique lancée au bon moment.

Le système d'exploitation : la discipline n'est pas une punition

Oubliez tout ce que vous pensez savoir sur la discipline. Oubliez l'image de la punition, de la contrainte. C'est une vision de seconde division.

Pour les performeurs de classe mondiale, la discipline n'est pas une compétence.

C'est une décision.

Une décision froide, logique, prise en amont, à laquelle on adhère, qu'on en ait envie ou non. C'est la promesse que l'on se fait de tenir le cap. Et chaque fois que cette promesse est tenue, la confiance en soi se solidifie, la conviction que tout est possible se renforce. C'est une prophétie auto-réalisatrice.

Les émotions ne dictent pas l'action. L'action précède et façonne l'état d'esprit.

Ce système d'exploitation ne s'éteint jamais. Il tourne en permanence, garantissant que la machine reste focalisée sur l'objectif, malgré la douleur, la fatigue ou le chaos ambiant.

C'est le moteur qui vous fait avancer, même quand le plaisir a disparu de l'équation.

L'application tactique : la compartimentalisation n'est pas du déni

Si la discipline est le moteur, la compartimentalisation est l'outil chirurgical que ce moteur alimente. Face à une avalanche de problèmes, le réflexe commun est de tout traiter en même temps, dans un brouillard de stress.

Grave erreur.

Les grands leaders possèdent la capacité de placer chaque problème dans une "boîte mentale" distincte. Ils créent une séparation nette entre la personne et le problème, puis entre les problèmes eux-mêmes.

Ce n'est pas du déni. C'est de la focalisation extrême.

Ils attaquent un dossier. Ils l'analysent logiquement, sans engagement émotionnel superflu. Ils identifient la meilleure solution ou, à défaut, la stratégie la plus pragmatique pour l'améliorer. Puis, ils ferment la boîte. Et passent à la suivante.

Cette méthode empêche l'émotion d'une crise de "déteindre" et de contaminer la résolution de la suivante. Elle garantit une clarté d'esprit absolue, même quand tout semble s'effondrer.

C'est l'art d'éteindre les incendies un par un, sans jamais laisser les flammes se propager.

La double décision qui change tout

Ces deux concepts sont les deux faces d'une même pièce. Sans la discipline de rester logique sous la pression, la compartimentalisation est impossible.

Cette architecture mentale est l'antidote le plus puissant à la solitude et à la charge émotionnelle du dirigeant. Elle ne vous transforme pas en robot. Elle vous permet de préserver votre énergie et votre lucidité pour ce qui compte vraiment : décider.

La question n'est pas si vous ressentez la pression.

La question est : quelle est votre architecture pour la maîtriser ?

Votre coup d'après : de la menace à la maîtrise

Le point commun entre un discours politique hostile et un actionnaire défaillant ? Les deux testent votre capacité à ne pas vous effondrer. Ils s'attaquent à votre lucidité, à votre énergie, à votre solitude. Les trois articles de cette semaine vous ont donné les clés de lecture : décoder le théâtre, analyser la trahison, et surtout, bâtir l'architecture mentale pour rester maître du jeu. La discipline et la compartimentalisation ne sont pas des outils de confort. Ce sont des armes de survie.

Mais que se passe-t-il quand la menace n'est ni un politique, ni un financier, mais une réalité technologique implacable ? C'est ce que nous verrons la semaine prochaine. L'histoire d'ACC, notre supposé champion des batteries, est fascinante. Comment un projet souverain, abreuvé de subventions, se retrouve contraint de faire appel à ses concurrents chinois pour survivre ? Qu'est-ce que cette "leçon d'humilité" nous apprend sur les vrais enjeux de la réindustrialisation ?

Préparez-vous, l'analyse sera sans concession.

Cette édition vous a bousculé ? Transmettez-la. Un dirigeant de votre réseau a besoin de cette secousse.

Eric